La comparaison des cartes de 1600 et de 1790 permet de prendre la mesure de la formidable expansion de l’espace urbanisé entre le règne d’Henri IV (1589-1610) et la Révolution. Plusieurs facteurs expliquent cette expansion, dont le principal est une croissance de la population de l’ordre de 250 000 à 300 000 habitants en deux siècles (voir Paris 1600-1700, vue d’ensemble et Paris 1700-1790, vue d’ensemble).

Une telle progression n’a pas été sans effet sur la ville intra-muros. Au cours de cette période, les terrains demeurés vides se couvrent de constructions (voir Le Marais 1600-1700 ;  Le lotissement de l’île Saint-Louis ; L’enceinte des Fossés Jaunes et la croissance de Paris vers l’ouest). En même temps, la densité s’accroît, au prix d’un urbanisme sauvage « qui se construit dans la trame du bâti et qui traduit une véritable fièvre pour répondre à l’accueil des populations. Une véritable ville se construit dans la ville, qui est fondamentale pour l’habitat populaire. [1]»

Mais les effets les plus spectaculaires de la croissance de la population se produisent dans les faubourgs.

Avant de décrire ces mouvements, il faut préciser le sens du mot « faubourgs ». On désignera ainsi tout l’espace qui se trouvait en 1600 au-delà des remparts de la ville, soit l’enceinte de Charles V – élargie par l’enceinte des Fossés Jaunes – rive droite, et l’enceinte de Philippe-Auguste rive gauche. Ce faisant, on simplifie quelque peu les choses, en tenant les limites de Paris et des faubourgs comme constantes au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, ce qui n’a pas été le cas [2].

Le développement des faubourgs de 1600 à 1790 sera décrit en quatre articles qui seront consacrés successivement au faubourg Saint-Germain (1/4), au faubourg Saint-Honoré (2/4), à la Chaussée-d’Antin et au faubourg Poissonnière (3/4), à la Couture extérieure du Temple et au faubourg Saint-Antoine (4/4).

Le faubourg Saint-Germain

Vers 1600, l’espace urbanisé du faubourg Saint-Germain, entre la Seine et la rue de Vaugirard, dépasse à peine la rue Cassette et la rue des Saints-Pères.

Au XVIIe siècle, il atteint la rue du Bac et la déborde largement vers l’ouest.

Au XVIIIe siècle, l’esplanade des Invalides est franchie, et l’espace  qui la sépare du Champ-de-Mars – le quartier du Gros-Caillou – commence à se construire.

Ce développement s’organise sur les lignes de croissance que constituent le grand chemin du Pré-aux-Clercs [rue de l’Université], les deux anciens chemins des Vaches [rues Saint-Dominique et de Grenelle], la rue de Varenne, la rue de Babylone, le chemin de Sèvres, la rue de la Vieille-Tuilerie [rue du Cherche –Midi], le chemin de Vaugirard.

Dans ce développement, les couvents précèdent les hôtels. « La première moitié du XVIIe siècle, au faubourg Saint-Germain, est une série de fondations pieuses, de dédoublements de monastères d’hommes et de femmes, de transferts à Paris des couvents de province, que la guerre avait ruinés et qui espéraient y trouver, grâce à la présence de la cour, aide et protection pour se rétablir. Les hôtels ne viennent qu’après. Quant aux petites maisons d’artisans, de jardiniers, de cabaretiers, elles s’interposent entre les habitations des seigneurs et des gens d’église. [3]»

Plan d’une partie du faubourg Saint-Germain près des Invalides, dessin (1695). Le nord est à droite. Pour accéder au zoom, on peut cliquer sur le lien vers Gallica donné en fin d’article, dans la rubrique Illustrations (1).

Le noviciat des Dominicains s’installe ainsi en 1633 rue Saint-Dominique, à laquelle il donnera son nom (en subsistent l’église Saint-Thomas-d’Aquin et des bâtiments conventuels, aujourd’hui rue de Gribeauval). Les Dames de Bellechasse, en provenance de Charleville, s’implantent un peu plus loin en 1636 [n° 11bis rue Saint-Dominique], les Filles de Saint-Joseph en 1639 [n° 10-12]. Les Filles du Verbe Incarné s’établissent rue de Grenelle en 1643 [n° 104-106], bientôt remplacées en 1671 par l’abbaye de Pentemont, en provenance de Beauvais. Dans la même rue, un couvent de Carmélites s’implante en 1687 [n° 122].

Rue de Sèvres, l’Hôpital des Petites Maisons s’était bâti aux confins de la ville en 1557 [square Boucicaut]. A proximité, l’Hôpital des Incurables est fondé en 1634 [n° 42 rue de Sèvres]. L’Abbaye-aux-Bois s’implante, en 1654, dans un couvent bâti 14 ans plus tôt pour les Annonciades des Dix Vertus [n° 16]. Sur la rue du Bac, le Séminaire des Missions Etrangères prend place en 1663 [n° 122-126] [4].

Plusieurs de ces communautés sont autorisées à  « utiliser les terrains qui leur restent, après l’achèvement des bâtiments conventuels, pour y élever des maisons de produit : les Jacobins réformés de la rue Saint-Dominique, entre autres, obtiennent la permission de construire le long de la rue du Bac, qui était déjà la principale artère transversale du faubourg. Et c’est ainsi que, de proche en proche, les vides existant entre les maisons religieuses se couvrent d’habitations privées. La construction des hôtels fera disparaître, un peu plus tard, toute solution de continuité. [5]»

Construction du Pont Royal, dessin de Lievin Cruyl (1686).

La construction des hôtels de l’aristocratie dans le faubourg Saint-Germain trouve son origine première dans le lotissement de la reine Margot (voir Le lotissement de la reine Margot). Mais elle ne prend son plein développement qu’à partir de la fin du XVIIe siècle, avec l’installation de la Cour à Versailles et l’édification du Pont Royal en pierre (entre 1685 et 1689).

Le plan de Delagrive (1728) montre que, au premier quart du XVIIIe siècle, « les rues de Varenne, de Grenelle, Saint-Dominique et de l’Université, se construisent dans tout leur parcours : la première compte déjà douze hôtels ; la seconde en possède vingt ; la troisième en a trente-quatre et la quatrième vingt-cinq. Viennent ensuite, dans l’ordre d’importance, la rue du Bac, qui en compte dix-huit, la rue de Bourbon [rue de Lille], qui en a onze, la rue des Saints-Pères, qui en possède neuf, les rues Saint-Guillaume et du Regard, qui en ont cinq chacune. Le long du quai d’Orsay s’étendent les terrasses des hôtels en façade sur la rue de Bourbon [rue de Lille], et l’ouverture de la rue de Bourgogne laisse, entre la rivière et l’esplanade des Invalides, un vaste espace que couvrent bientôt après le palais Bourbon et l’hôtel de Lassay. [6]»

Plan de Delagrive : détail montrant le faubourg Saint-Germain vers 1720.

Sur le plan de Jaillot (1774), on voit que, depuis la rue des Saints-Pères jusqu’à l’esplanade et au boulevard des Invalides, tout est désormais bâti, sauf quatre chantiers à hauteur de la rue de Bellechasse. Dans ce développement, on repère le contraste entre les parcelles en profondeur des hôtels des rues de Varenne, de Grenelle et Saint-Dominique, agrémentés de vastes jardins, et les terrains moins étendus des rues de l’Université, de Verneuil, de Bourbon [rue de Lille] et du quai d’Orsay qui, par ailleurs sujets aux inondations et utilisés par le commerce de bois, ont été bâtis plus tardivement.

Plan de Jaillot : détail montrant le faubourg Saint-Germain vers 1770.

Au-delà des Invalides et jusqu’au Champ‑de‑Mars, le bâti est tout autre. « Avec sa grande boucherie, ses blanchisseries et ses cabarets fréquentés par des invalides pensionnés, auxquels les maraîchers louaient de modestes maisons [7]», le Gros-Caillou est un quartier populaire qui se développe autour de l’église Saint-Pierre et tout au long de la rue Saint-Dominique, jusqu’à l’hôpital des Gardes Françaises.

CARTES

Michel Huard, Atlas historique de Paris :

Cartes des XVIIe et XVIIIe siècles :

BIBLIOGRAPHIE

BERTY Adolphe, TISSERAND Lazare-Maurice, Topographie historique du vieux Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1866-1897, vol. IV « Région du Faubourg Saint-Germain », 533 p.

CHAGNIOT Jean, Nouvelle Histoire de Paris : Paris au XVIIIe siècle, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 1988, 587 p.

CONCHON Anne, NOIZET Hélène, OLLION Michel (sous la direction de), Les limites de Paris : XIIe-XVIIIe siècles, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017, 152 p.

HILLAIRET Jacques, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Editions de Minuit, 1963, 3 vol.

ROCHE D, « Les Parisiens et l’espace parisien au 18e siècle » in Cahiers du Centre de recherches et d’études sur Paris et l’Ile-de-France, Paris, CREPIF, n° 1, avril 1983, p. 204-206

NOTES

[1] ROCHE 1983, p. 205

[2] CONCHON 2017

[3] BERTY 1866-1897, IV p. 134-135

[4] Pour ce § et le précédent, les sources sont BERTY 1866-1897, IV p. 135-137 et HILLAIRET 1963 (aux articles des rues citées)

[5] BERTY 1866-1897, IV p. 136

[6] BERTY 1866-1897, IV p. 155

[7] CHAGNIOT 1988, p. 248

ILLUSTRATIONS

(1) Faubourg Saint-Germain, dessin anonyme – Gallica BNF

(2) Dessin de Lievin Cruyl – Gallica BNF

(3) Plan de Delagrive (détail)

(4) Plan de Jaillot (détail)

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