En 1600, la quasi-totalité des terrains inclus dans l’enceinte de Charles V sont urbanisés, à l’exception d’un large espace qui bute sur la muraille, depuis la porte Saint-Antoine jusqu’à la porte du Temple. Cet espace  va se couvrir de constructions au XVIIe siècle avec le lotissement du domaine des Tournelles, de la Couture du Temple et de la Couture Saint-Gervais.

Le lotissement du domaine des Tournelles

Le domaine des Tournelles, à proximité immédiate de la porte Saint-Antoine, a été constitué en 1388 par Pierre d’Orgemont, Chancelier de France (voir Paris 1300-1450, vue d’ensemble). Pour Catherine de Médicis, il est associé aux souvenirs terribles de l’agonie et de la mort d’Henri II en 1559. Aussi Charles IX (1560-1574), à la demande sa mère, fait-il détruire les jardins, abattre les clôtures, combler les fossés et raser l’hôtel. Les terrains – inscrits dans un quadrilatère limité par les actuelles rues Saint-Gilles, des Tournelles, Saint-Antoine et de Turenne – servent depuis tantôt de champ de manœuvre tantôt de marché aux chevaux [1].

Henri IV, par un arrêt du Conseil du 4 mars 1604, décide d’y installer la manufacture de draps de soie, or et argent « filé à la façon de Milan » qu’il a créée par lettres patentes l’année précédente. Sur la partie nord du domaine, entre l’actuelle place des Vosges et la rue Saint-Gilles, il fait don aux sieurs de Moisset, Saintot, Lumagne, Camus et Parfait, entrepreneurs de la manufacture, d’un terrain de cent toises de long sur soixante de large pour y faire construire les bâtiments nécessaires (la toise mesure 1,949 mètre à Paris) [2].

La place des Vosges aujourd’hui (angle sud-ouest)

Sur la partie sud du domaine, « vis-à-vis du logis qui a été bâti depuis peu par les entrepreneurs des manufactures », Henri IV décide, par lettres patentes de juillet 1605, de créer la place Royale [place des Vosges]. Cette place quadrangulaire est d’abord lotie sur les côtés est, ouest et sud. Sur les alignements donnés par l’ingénieur Claude Chastillon, sont cédés à rente des lots où les acquéreurs s’engagent à élever des pavillons « tous bâtis d’une même symétrie pour la décoration de notre ville [3]». Ces pavillons auront une façade faite de pierre de taille et de brique. En rez-de-chaussée, des galeries seront ouvertes en arcades pour y accueillir des boutiques [4].

Dès 1608, les cinq associés engagés dans le projet de la manufacture, sont autorisés à la démolir et à se partager le terrain pour lotir le côté nord selon le même modèle [5].

La place ainsi créée est en retrait de la rue Saint-Antoine. Elle s’intègre au réseau viaire par l’ouverture des rues Royale-Saint-Antoine [6] [rue de Birague], du Parc-Royal [rue de Béarn], Petite-Rue-Royale [rue du Pas-de-la-Mule] et par le prolongement de la rue des Francs-Bourgeois [7].

Sur le restant du domaine des Tournelles, sont tracées et bâties à partir de 1606 les rues du Foin, des Minimes et Neuve-Saint-Gilles [rue Saint-Gilles] [8].

Le lotissement des Coutures du Temple et Saint-Gervais

Au nord de la rue Saint-Gilles, s’ouvre un espace de jardins maraîchers constituant la Couture du Temple et la Couture Saint-Gervais. L’urbanisation de cet espace a été freinée par l’enceinte qui, entre les portes du Temple et Saint-Antoine, forme une muraille continue où tous les chemins se terminent en impasse. Il subsiste donc en 1600, occupé par ces jardins maraîchers, un large triangle en cul-de-sac qui se referme sur la muraille.

« Les Marets du Temple », détail du Plan de Mérian (1615). Entre le Temple et la place Royale, les terrains des Coutures du Temple et Saint-Gervais.

Sur ces terrains, Henri IV forme en 1608 le projet d’une nouvelle place. « Sa Majesté en parla au Grand Prieur [du Temple], qui en écrivit au Grand Maître de Vignacourt ; & après les solennités ordinaires pour les aliénations des biens de l’Ordre, toute cette étendue de terre fut acquise par Pigou Bourgeois de Paris. Il en paya au Grand Maitre 44 000 livres, s’obligea à y faire bâtir, suivant les plans et les dessins qui lui seraient donnés par le Duc de Sully, Grand Voyer de France, et de payer à l’Ordre 600 livres de rente, dont il chargerait par portions les maisons qu’il ferait bâtir. [9]»

Les plans et dessins du Grand Voyer prévoient de tracer une place en hémicycle – la place de France – au carrefour de la rue Vieille-Barbette [rue Vieille-du-Temple] et du grand Egout [rue de Turenne]. A partir de cette place, de 160 mètres de diamètre, rayonneraient des rues portant des noms de province française : Picardie, Dauphiné, Provence, Languedoc, Guyenne, Poitou, Bretagne, Bourgogne. Ces rues seraient reliées par des rues annulaires : Saintonge, Marche, Touraine, Perche, Angoulême, Berry, Orléans, Beaujolais, Anjou. La place serait entourée de sept pavillons doubles, d’architecture uniforme : brique et pierre, de trois étages sur rez-de-chaussée en arcades. L’hémicycle s’ouvrirait sur la route de Meaux par une nouvelle porte percée dans le rempart [dans l’axe de la rue du Pont-aux-Choux] [10].

Le projet de place de France en 1610,
selon Claude Chastillon

Les travaux entrepris pour réaliser ce projet seront interrompus par la mort d’Henri IV, en 1610. Mais les terrains de la Couture du Temple qu’avait acquis Pigou seront néanmoins lotis, selon un plan différent, après avoir été cédés à une association de financiers dirigée par Claude Charlot. Dès 1618, ce quartier est doté d’un marché – les Enfants Rouges. A partir de 1626, sont ouvertes et bâties, orientées nord-sud : la rue de Beauce, prolongée par la ruelle Sourdis ; les rues d’Orléans, de Berri et d’Angoumois [toutes trois formant l’actuelle rue Charlot] ; les rues de Touraine-en-Marais, de la Marche et de Saintonge [toutes trois formant l’actuelle rue de Saintonge]. De la même époque datent les rues de Périgueux, de Limoges, de l’Echaudé-aux-Marais et Neuve-Saint-François [les quatre formant la rue Debelleyme], qui suivent un tracé hérité du projet de la place de France ; la rue du Perche ; la rue de Poitou ; la rue de Bretagne, qui prolonge la rue de la Corderie-du-Temple du XIVe siècle [tronçon de l’actuelle rue de Bretagne compris entre la rue du Temple et la rue de Beauce]. La rue du Pont-aux-Choux, sur un chemin datant du XVIe siècle, pourrait leur être antérieure, et avoir été créée pour desservir une poterne ouverte dans le rempart à l’époque du projet de la place de France [11].

Ces années 1620 voient aussi se lotir la Couture des Hospitalières de Saint-Gervais. Sur les terrains vendus aux entrepreneurs Michel Villedo, Claude Dublet et Louis Noblet, sont tracées les rues de Thorigny, des Coutures-Saint-Gervais, Sainte-Anastase et Saint-François [rue du Roi-Doré] [12].

A l’est de la rue de Turenne

La rue Saint-Louis [rue de Turenne] est née de la couverture du grand Egout, dans les années 1610. Les terrains situés entre cette rue et le rempart, au nord de la rue Saint-Gilles, seront lotis plus tardivement. Les rues Saint-Claude, Saint-Pierre [rue de Villehardouin, orientée nord-sud] et des Douze-Portes [rue de Villerhardouin, orientée est-ouest] datent de 1640.

A partir de 1670, la création du Nouveau Cours ouvre le Marais vers les faubourgs voisins. Les rues Saint-Gilles, Saint-Claude, des Filles-du-Calvaire, de Saintonge, qui se perdaient aux abords du rempart, sont prolongées. La rue de Vendôme [rue Béranger] est ouverte vers 1695, dans la continuité de la rue Saint-Louis [rue de Turenne] [13].

L’âge d’or du Marais

Les lotissements du domaine des Tournelles, de la Couture du Temple, de la Couture Saint-Gervais, confirment le caractère aristocratique du Marais qu’annonçaient les lotissements de l’hôtel Saint-Paul et de la Couture Sainte-Catherine (voir La Couture Sainte-Catherine) avant les temps sombres des guerres de religion (voir Paris 1450-1600, vue d’ensemble). « Ce qu’il y a de plus notable à Paris dans le monde de l’aristocratie, dans celui de la finance, dans celui de la pensée, dans celui de la politesse et de la galanterie élit domicile au Marais […] A côté d’immeubles aux appartements en façade sur rue comme à la Place Royale, se développe le type de grandes demeures parisiennes entre cour et jardin : rue du Parc-Royal ; rue de Turenne (hôtels de Montrésor […] et du Grand Veneur) ; rue de la Perle (hôtel de Libéral Bruant) ; rue de Thorigny (hôtel Aubert de Fontenay, un des plus magnifiques de Paris) […] ; rue des Tournelles (hôtel Hardouin-Mansart) [14]

Hotel Aubert de Fontenay ,
façade sur jardin vue depuis la rue Vieille-du-Temple
(abrite aujourd’hui le musée Picasso)

Sur ces terrains nouvellement urbanisés, s’installent aussi des couvents tel celui des Minimes, sur la rue de ce nom, au nord de la place Royale, riche de sa bibliothèque de 25 000 volumes, que fréquente le père Mersenne, théologien, philosophe et mathématicien ; ou le couvent des Filles de Notre-Dame-du-Calvaire, ordre fondé par le Père Joseph, bâti à partir de 1635 à proximité de la rue éponyme [15].

En dehors des grands axes, de plus petites parcelles accueillent des artisans enrichis par l’essor de la construction, couvreurs, serruriers, charpentiers, menuisiers, plombiers [16].

L’âge d’or du Marais se prolongera jusque vers la fin du XVIIe siècle. Dans les 30 dernières années du règne de Louis XIV, les prix commenceront à baisser. La demande se porte alors sur les faubourgs Saint-Honoré et Saint-Germain [17].

CARTES

Michel Huard, Atlas historique de Paris :

Cartes du XVIIe siècle :

BIBLIOGRAPHIE

ALPHAND Adolphe (sous la direction de), DEVILLE Adrien, ROCHEREAU, Recueil des lettres patentes, ordonnances royales, décrets et arrêtés préfectoraux concernant les voies publiques [de la Ville de Paris], Paris, Imprimerie nouvelle, 1886-1902

BABELON Jean-Pierre (sous la direction de), MALECOT Claude, Le Marais, mythe et réalité, Paris, Caisse nationale des monuments historiques et des sites / Picard, 1987, 340 p.

CHADYCH Danielle, LEBORGNE Dominique, Atlas de Paris. Evolution d’un paysage urbain, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 1999, 199 p.

DELAMARE Nicolas, Traité de la police, Paris, Michel Brunet, 1713-1738, 4 vol.

HILLAIRET Jacques, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Editions de Minuit, 1963, 3 vol.

LAVEDAN Pierre, Nouvelle Histoire de Paris : Histoire de l’urbanisme à Paris, Paris, Association pour la publication d’une Histoire de Paris, 1993, 732 p. (avec un supplément de Jean Bastié) [1ère édition, 1975]

LAZARE Félix, LAZARE Louis, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, Paris, F. Lazare, 1844, 702 p.

PILLORGET René, Nouvelle Histoire de Paris : Paris sous les premiers Bourbons (1594-1661), Paris, Association pour la publication d’une Histoire de la ville de Paris, Hachette, 1988, 741 p.

NOTES

[1] PILLORGET 1988, p. 276

[2] Arrêt du conseil reproduit in ALPHAND 1886-1902, 2ème supplément, p. 3

[3] Lettres patentes reproduites in LAZARE 1844, p. 602

[4] BABELON 1987, p. 87

[5] PILLORGET 1988, p. 278

[6] Pour tous les anciens noms de rue cités dans cet article, la source est HILLAIRET 1963

[7] LAVEDAN 1993, p. 231

[8] CHADYCH 1999, p. 68

[9] DELAMARE 1713-1738, p. 99

[10] LAVEDAN 1993, p. 229

[11] BABELON 1987, p. 88

[12] CHADYCH 1999, p. 68

[13] CHADYCH 1999, p. 69

[14] LAVEDAN 1993 p. 239

[15] BABELON 1987, p. 96

[16] BABELON 1987, p. 88

[17] BABELON 1987, p. 116

ILLUSTRATIONS

(1) Place des Vosges – PI (mars 2019)

(2) Plan de Mérian (détail) via Wikimedia Commons

(3) Claude Chastillon, Topographie francoise ou representations de plusieurs villes, bourgs, chasteaux, plans, forteresses, vestiges d’antiquité, maisons modernes et autres du royaume de France, Boisseau, Paris, 1655 via Wikimedia Commons.

(4) Hôtel Aubert de Fontenay – PI (mars 2019)

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