Le lotissement de la Couture Sainte-Catherine ouvre la grande époque du quartier du Marais. Au moment où Toussaint de Hocedy, évêque de Toul et prieur de Sainte-Catherine, obtient du roi, de l’évêque et des échevins, l’autorisation de lotir les terrains du prieuré – en l’an 1545 – ces terrains sont des terres agricoles. On y cultive du seigle, de l’orge, diverses céréales [1].

Avec la Culture Saint-Gervais et la Culture du Temple, ils constituent une vaste réserve à l’écart de la zone urbanisée, entre la vieille muraille de Philippe-Auguste et l’enceinte de Charles V, dont on sait qu’elle a été tracée, entre la rue du Temple et la Seine, sur le marais qui suit l’ancien cours de la Seine (voir Paris 1300-1450, vue d’ensemble), très au-delà de la zone bâtie.
La Couture Sainte-Catherine appartenait aux religieux du Val-des-Ecoliers (voir Saint-Paul 1000-1300), qui avaient constitué, tout au long des XIIIe et XIVe siècles, un vaste domaine, soit comme propriété féodale (censive) soit comme bien particulier à la suite de donations (en partie de la censive de Saint-Victor) [2]. Au XVIe siècle, les religieux ont à faire face semble-t-il à des difficultés financières qui les incitent à mener une opération immobilière.
Le contexte est très favorable. D’une part, l’augmentation de la population (voir Paris 1450-1600, vue d’ensemble) crée une forte demande foncière. D’autre part, dans le quartier voisin de Saint-Paul, le roi, par une ordonnance du 23 septembre 1543, vient d’ordonner de vendre plusieurs hôtels des possessions royales, dont l’hôtel Saint-Paul (voir Paris 1300-1450, vue d’ensemble). « Les frais de guerre, les constructions de châteaux, l’achat de nombreux objets d’art, le luxe et les fêtes de la Cour exigeaient beaucoup d’argent. Aussi, au moment de la reprise de la guerre contre Charles-Quint, François Ier chercha-t-il à « trouver argent pour entretenir et paier ses gens de guerre » ; il décida de mettre en vente un certain nombre d’hôtels royaux « vieils, inutiles, inhabités et délaissés en ruyne ou décadence » » [3].
L’hôtel de la Reine est ainsi loti en 1544, puis l’hôtel de Beautreillis, l’hôtel des archevêques de Sens et l’ensemble du domaine. Dans ce « premier lotissement important postérieur à la guerre de Cent Ans et annonciateur d’une époque où la rue, tracée suivant un plan préconçu, devient plus droite et plus large (ici, 10 mètres) [4] », ont été ouvertes en 1554 les rues Neuves-Saint-Paul [rue Charles V], des Lions-Saint-Paul et Beautreillis.
Mettant à profit ce contexte, l’assemblée des religieux décide le 10 mars 1545 d’aliéner les terrains qui, transcrits sur la carte actuelle, seraient délimités par la rue Elvézir, la rue du Parc-Royal, la rue de Sévigné (en incluant sa rive est), et la rue des Francs-Bourgeois (en incluant sa rive sud) [5].
Sur ce périmètre, un plan de lotissement est établi, qui prévoit l’ouverture de voies nouvelles. Conformément à ce plan, l’ancien cimetière du prieuré est remplacé par une petite place, ouvrant sur la rue Saint-Antoine. Au fond de cette place est ouverte la rue de la Couture (ou Culture) Sainte-Catherine [rue de Sévigné]. La rue des Francs-Bourgeois est prolongée jusqu’à cette nouvelle voie. A peu près au milieu de ce prolongement, la rue Payenne est tracée en équerre. Enfin, en bordure nord du lotissement, la rue du Parc-du-Roi [rue du Parc-Royal] [6] est créée, raccordée par un coude avec la rue de la Perle.
En bordure de ces voies, sont délimités 59 parcelles sur les terrains en censive de Saint-Victor et des lots non numérotés sur les terrains en censive du prieuré, pour un total de 8 682 toises (33 860 m²).

(abrite aujourd’hui la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris).
En quatre mois, de mars à juin 1545, 53 de ces parcelles sont baillées à rente. Dès 1546, Jacques de Ligneris, président au Parlement de Paris, fait construire son hôtel sur les lots 27 à 31. En rupture avec la tradition médiévale qu’incarnent encore les hôtels de Sens (entre 1475 et 1507) et de Cluny (entre 1485 et 1510), et suivant les innovations d’abord développées à Fontainebleau pour l’hôtel du cardinal Hyppolyte d’Este, l’hôtel de Ligneris développe pour la première fois à Paris le modèle d’un hôtel entre cour et jardin [7]. L’hôtel sera ensuite vendu en 1572 à Françoise de la Baume, veuve d’un seigneur breton du nom de Kernevenoy [8], qui lui donnera son nom de Carnavalet. De l’autre côté de la rue des Francs-Bourgeois, sur les lots 13 à 17, acquis à l’origine par Claude de Tudert, conseiller au Parlement, Diane de France, duchesse d’Angoulême et fille naturelle d’Henri II, fait bâtir son hôtel en 1584 [9] – il abrite aujourd’hui la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.
Sont aussi construits, entre les rues des Trois-Pavillons [rue Elvézir] et Payenne, les hôtels de Chatillon [13 rue Payenne], de Marle [11 rue Payenne], de Donon [8 rue Elvézir], de Savourny [4 rue Elvézir] ; entre les rues Payenne et de la Couture-Sainte-Catherine [rue de Sévigné], les hôtels de Champrond et de Damville [disparus aujourd’hui] ; au sud de la rue des Francs-Bourgeois, l’hôtel d’Albret [n° 31] [10].

Une seconde opération de lotissement est décidée en 1549. Elle porte sur les terrains situés à l’est des précédents, entre les lots déjà attribués et l’égout qui formait frontière avec le parc des Tournelles. Pour ce lotissement, les religieux créent la rue Neuve-Sainte-Catherine [rue des Francs-Bourgeois depuis 1868 [11]] en prolongeant la rue des Francs-Bourgeois jusqu’à cet égout, qu’ils font recouvrir pour créer la rue des Egouts [rue de Turenne] [12].
Ces opérations annoncent les grandes heures du quartier du Marais, où se multiplieront les hôtels au XVIIe siècle avec les lotissements des Coutures Saint-Gervais et du Temple (voir Le Marais 1600-1700).
CARTES
Michel Huard, Atlas historique de Paris :
Cartes du XVIe siècle :
BIBLIOGRAPHIE
BABELON Jean-Pierre, Nouvelle Histoire de Paris : Paris au XVIe siècle, Paris, Association pour la publication d’une Histoire de Paris, Hachette, 1986, 626 p.
BABELON Jean-Pierre (sous la direction de), MALECOT Claude, Le Marais, mythe et réalité, Paris, Caisse nationale des monuments historiques et des sites, Picard, 1987, 340 p.
CHADYCH Danielle, LEBORGNE Dominique, Atlas de Paris. Evolution d’un paysage urbain, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 1999, 199 p.
DUMOLIN Maurice, Etudes de topographie parisienne, Paris, Impr. Daupeley-Gouverneur, 1929-1931, vol. III, 498 p.
HILLAIRET Jacques, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Editions de Minuit, 1963, 3 vol.
MIROT Léon, La formation et le démembrement de l’hôtel Saint-Paul, Extrait du Bulletin de la Société historique et archéologique du IVe arrondissement de Paris, octobre 1916, 51 p.
ROULEAU Bernard, Le tracé des rues de Paris, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1975, 129 p. [1ère édition 1967]
NOTES
[1] BABELON 1987, p. 26
[2] DUMOLIN 1929-1931, p. 292
[3] MIROT 1916, p. 16
[4] ROULEAU 1975, p. 61
[5] Cette partie a pour source principale DUMOLIN 1929-1931, III p.298-306
[6] HILLAIRET 1963, II p. 230
[7] BABELON 1986, p. 344-349
[8] HILLAIRET 1963, II p. 516
[9] HILLAIRET 1963, II p. 247
[10] CHADYCH 1999, p. 53 (carte)
[11] HILLAIRET 1963, I p. 548
[12] HILLAIRET 1963, II p. 578
ILLUSTRATIONS
(1) Plan de Braun et Hogenberg (détail)
(2) Hôtel de Lamoignon – PI (mars 2019)
(3) Hôtel de Marle – Pline [CC BY-SA 3.0] via Wikimedia Commons
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