Deux choses retiennent l’attention quand on compare les cartes du Paris de 1300 et de 1450 : l’apparition d’une nouvelle enceinte et, paradoxalement, la faible progression des espaces bâtis en un siècle et demi.

La population parisienne

La population parisienne, qui n’a cessé de croître aux XIIe et XIIIe siècles, décline tout au long du XIVsiècle. Les sources sont rares toutefois, qui permettent de la quantifier [1]. Pour le début du XIVe siècle, les registres de la taille de 1292, 1297 à 1300, 1313 présentent des variations de telle ampleur – la population bourgeoise de Paris aurait baissé de 60 % en vingt ans – qu’à l’évidence les champs ne sont pas comparables, d’autant que rien n’atteste par ailleurs d’un reflux démographique à cette époque. Les tentatives de calculs à partir de la densité butent sur la difficulté de mesurer précisément la surface bâtie. On n’a donc pas de source plus fiable que l’Etat des paroisses et des feux de 1328, inventaire général des feux du royaume commandé par Philippe VI de Valois (1328-1350) qui annonce pour « la ville de Paris et de Saint-Marcel » 35 paroisses et 61 098 feux. Mais le nombre d’habitants par feux reste hypothétique de sorte que les estimations de la population varient dans une fourchette très large : de 60 000 selon le Père Mols – qui considère que l’état de 1328 donne en réalité le nombre des habitants – jusqu’à 300 490 selon Dureau de la Malle. Le plus probable est que chaque feu ait compté entre 3,5 et 4,5 habitants, ce qui situe la population de Paris en 1328 dans une fourchette de 217 000 à 279 000 habitants – en intégrant dans le calcul la population du bourg Saint-Germain.

Passé cette date, s’amorce un fort repli démographique. Là encore, les chiffres précis font défaut. Mais on estime qu’en 1444 – au moment où ce déclin est enrayé – Paris pouvait compter entre 100 000 [2] et 150 000 habitants.

La bête de l’Apocalypse,
Liber Floridus, 3ème quart du XIIIe siècle

Entre ces deux dates, des évènements majeurs se sont produits. Après les récoltes désastreuses de 1315-1317 et les épidémies de 1323, 1328, 1334, 1340-1341, la peste noire de 1348-1349 tue peut-être un quart des habitants de la ville, principalement des pauvres et des enfants [3]. Dans le même temps, la guerre avec les Anglais ouvre une période de défaites – destruction de la flotte française au port de l’Ecluse le 24 juin 1340, batailles de Crécy le 26 août 1346, de Poitiers le 19 septembre 1356, où Jean II le Bon (1350-1364) est fait prisonnier [4]. En 1346, Edouard III d’Angleterre s’est approché de Paris et Nanterre, Rueil, Saint-Cloud ont été incendiés. Après la trêve de 1357, les gens d’armes désormais sans emploi forment des bandes de routiers qui ravagent tout le sud de la région parisienne. La population se réfugie en masse dans Paris, occupant les maisons vidées par les épidémies ou s’abritant dans des édifices à bon marché construits sur les cours ou les jardins [5]. Au même moment, la lutte entre Etienne Marcel et le Dauphin – entre les journées des 19 et 20 janvier 1357 et la mort du prévôt des marchands le 31 juillet 1358 – entraîne troubles et émeutes [6].  Après la paix de Brétigny du 8 mai 1360, le règne de Charles V (1364-1380) – qui reconquiert tous les territoires cédés aux Anglais, sauf la Guyenne et Calais – marque un temps de renouveau. Mais, le long règne de Charles VI (1380-1422) – même s’il fut « pendant plus de vingt ans, une période de paix et de prospérité exceptionnelle [7] » dont la richesse et la splendeur des arts ont été illustrées par l’exposition du Louvre de 2004 – s’achève sur de nouveaux désastres. Après l’assassinat de Louis d’Orléans en novembre 1407, la guerre civile oppose Armagnacs et Bourguignons. En 1415, Henri V d’Angleterre reprend les hostilités. Par le traité de Troyes, le 21 mai 1420, Charles VI reconnaît les prétentions du roi d’Angleterre. A sa mort en 1422, Henri VI d’Angleterre est proclamé roi de France et son oncle, le duc de Bedford, régent. Paris est alors aux mains des Anglais. Il le restera jusqu’en 1436, date à laquelle Charles VII (1422-1461) – sacré à Reims en juillet 1429 – retrouve sa capitale. La trêve conclue avec les Anglais en 1444 ne met pas fin à la guerre – qui ne se terminera qu’en 1453, sans traité de paix – mais marque le terme de ces années sombres.

Bataille de Crécy, 26 août 1346.
Grandes chroniques de France, XVe siècle.

L’enceinte de Charles V

Ces évènements expliquent la faible progression des espaces bâtis et la construction, rive droite, d’une nouvelle enceinte, destinée à protéger les zones urbanisées qui débordaient de l’enceinte de Philippe-Auguste. Dès 1356-1358, des levées de terre sont aménagées autour des faubourgs. A son avènement, en 1364, Charles V décide de la construction d’un mur crénelé ponctué de tours, édifié sur ces levées de terre (sur la rive gauche, on se contente d’aménager au-devant du mur un large fossé). Les travaux se poursuivent au-delà de son règne, jusqu’en 1420 [8].

L’emprise de la nouvelle enceinte est plus importante que le mur de Philippe-Auguste : la levée de terre est en effet défendue par deux fossés – le premier large et profond, rempli d’eau, le second plus étroit et sec –  séparés par un dos d’âne. Sur la carte actuelle de Paris, l’enceinte suivrait les boulevards Bourdon, Beaumarchais, du Temple, Saint-Martin, Saint-Denis puis la rue d’Aboukir – sur une ligne joignant la Porte Saint-Denis à la Porte Saint-Honoré (aux n° 161-167 de la rue Saint-Honoré [9]) – pour aboutir à la Seine un peu à l’est de l’arc de triomphe du Carrousel.

Trois points majeurs retiennent ici l’attention [10]. Tout d’abord, le nombre des portes, limité à six. Leur emplacement identifie clairement les grands axes de circulation qui structurent le réseau urbain : les rues Saint-Honoré, Montmartre, Saint-Denis, Saint-Martin, du Temple et Saint-Antoine, qui débouchent sur les portes du même nom.

Entrée de Charles V à Paris, après son couronnement à Reims
le 19 mai 1364. Jean Fouquet, Grandes Chroniques de France,
XVe siècle. Au premier plan la porte Saint-Denis. En arrière plan, le Temple.

Ensuite, le choix du tracé. A l’ouest, de la Seine à la rue du Temple, il enserre et protège les zones bâties qui débordaient de l’enceinte de Philippe-Auguste. A l’est, de la rue du Temple à la Seine, l’enceinte est construite sur la zone de marais et constitue une digue qui rend possible de drainer et d’aménager en cultures les terres avoisinantes. De vastes terrains maraîchers se retrouvent ainsi intra-muros, qui forment autant de réserves foncières pour de futures expansions de la zone bâtie au nord-est.

Troisième point : la Bastille et l’évolution du quartier Saint-Paul. Au débouché de la rue Saint-Antoine, la porte Saint-Antoine est initialement conçue comme un ouvrage fortifié, encadré de deux tours. Cet ouvrage est complété d’un pont-levis sur le grand fossé, puis d’un ouvrage défensif appelé « basse-cour » sur le dos d’âne, enfin d’un pont dormant sur le fossé sec, ouvrant sur la campagne. Vers 1380, l’ouvrage fortifié encadré de deux tours se développe en une forteresse bâtie du côté de la rue Saint-Antoine, dotée de six tours supplémentaires et qui sera la Bastille. A cette époque, toutefois, la Bastille reste une porte : la rue Saint-Antoine la traverse pour sortir de la ville. Tout est modifié lorsque, vers 1400, la Bastille se referme, pour ne conserver d’accès que vers l’est, du côté de la campagne, et vers le sud, par une porte qu’utilise le roi pour gagner le château de Vincennes depuis sa résidence de l’hôtel Saint-Paul. Une nouvelle porte de la ville est alors créée au nord de la forteresse [au débouché de la rue de Bastille sur le boulevard Beaumarchais], qui provoque une déviation de la rue Saint-Antoine encore marquée aujourd’hui par le tracé de la rue de la Bastille [11].

L’hôtel Saint-Paul est résidence royale sous les règnes de Charles V et de Charles VI. Entre 1361 et 1365, Charles V a acquis entre la rue Saint-Antoine et la Seine – dans un quadrilatère limité par les actuelles rues Saint-Paul, Saint-Antoine, du Petit-Musc et par le quai des Célestins –  plusieurs hôtels : l’hôtel du comte d’Etampes, qui deviendra l’hôtel de la reine ; l’hôtel des abbés de Saint-Maur, qui deviendra l’hôtel de Beautreillis ; l’hôtel des archevêques de Sens, dont le roi fera sa résidence de prédilection [12]. Entre les différents hôtels, des préaux, des galeries, des cloîtres ; mais aussi des pièces d’eau, des jardins, des chapelles, des étuves, des écuries, des volières, une ménagerie [13].  Après Charles V, Charles VI y passe l’essentiel de ses jours, jusqu’à sa mort le 21 octobre 1422. La reine Isabeau y meurt en 1435. En 1450, le domaine est délaissé. Charles VII, au demeurant rare à Paris, n’y réside jamais.

Lors de ses très rares voyages dans sa capitale [14], il séjourne à l’hôtel des Tournelles, qui jouxte désormais l’église Sainte-Catherine-du-Val-des-Ecoliers (voir : Saint-Paul 1000-1300). Ce vaste domaine – qui occupe un quadrilatère que limiteraient aujourd’hui les rues Saint-Gilles, des Tournelles, Saint-Antoine et de Turenne – a été constitué en 1388, par Pierre d’Orgemont, Chancelier de France, en empiétant sur les terres du prieuré. Après avoir été au duc de Berri en 1402, puis au duc d’Orléans en 1404, il a été acquis par le roi en 1407. Agrandi et embelli par le duc de Bedford qui en a fait sa résidence entre 1422 et 1436, l’hôtel est revenu au roi au terme de l’occupation anglaise [15].

CARTES

Michel Huard, Atlas historique de Paris :

BIBLIOGRAPHIE

BOURLET Caroline, LAYEC Alain, « Densités de la population et socio-topographie : la géolocalisation du rôle de taille de 1300 », in NOIZET Hélène, BOVE Boris, COSTA Laurent (sous la direction de), Paris de parcelles en pixels, Paris, Presses Universitaires de Vincennes (Université de Paris 8 Saint-Denis) / Comité d’histoire de la Ville de Paris (Mairie de Paris), 2013, p. 223-245

DUMOLIN Maurice, Etudes de topographie parisienne, Paris, Impr. Daupeley-Gouverneur, 1929-1931, 3 vol.

CAZELLES Raymond, Nouvelle Histoire de Paris : Paris de Philippe Auguste à Charles V, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 1994, 478 p.

FAVIER Jean, Nouvelle Histoire de Paris : Paris au XVe siècle, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 1997, 485 p.

GAGNEUX Renaud, PROUVOST Denis, Sur les traces des enceintes de Paris, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 2004, 241 p.

HILLAIRET Jacques, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Editions de Minuit, 1963, 3 vol.

MIROT Léon, La formation et le démembrement de l’hôtel Saint-Paul, Extrait du Bulletin de la Société historique et archéologique du IVe arrondissement de Paris, octobre 1916, 51 p.

MOURRE Michel, Dictionnaire Encyclopédique d’Histoire, Paris, Bordas, 1996 [1ère édition 1978]

ROULEAU Bernard, Le tracé des rues de Paris, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1975, 129 p. [1ère édition 1967]

Paris 1400, les arts sous Charles VI, catalogue de l’exposition du Louvre, Paris, Réunion des Musées Nationaux / Librairie Arthème Fayard, 2004, 412 p.

NOTES

[1] Pour cette partie, la source principale est CAZELLES 1994, p. 131-140. Sur l’estimation de la population, voir aussi BOURLET 2013

[2] FAVIER 1997, p. 61

[3] CAZELLES 1994, p. 147-153

[4] Sur la guerre de Cent Ans, la source principale est MOURRE 1996, I p. 985-988

[5] CAZELLES 1994, p. 25

[6] CAZELLES 1994, p. 279-350

[7] Paris 1400, p. 19

[8] GAGNEUX 2004, p. 68

[9] GAGNEUX 2004, p. 79

[10] Pour cette partie, la source principale est ROULEAU 1975, p. 58-61

[11] GAGNEUX 2004, p. 124-125

[12] MIROT 1916, p. 4

[13] HILLAIRET 1963, I p. 316

[14] FAVIER 1997, p. 105

[15] DUMOLIN 1929-1931, III p. 294

ILLUSTRATIONS

(1) Liber Floridus – Bibliothèque Nationale de France via Wikimedia Commons

(2) Grandes Chroniques de France – British Library via Wikimedia Commons.

(3) Jean Fouquet, Grandes Chroniques de France – Bibliothèque Nationale de France via Wikimedia Commons.

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