Deux choses retiennent l’attention quand on compare les cartes du Paris de 1450 et 1600 : la saturation progressive de l’espace intra-muros, protégé par l’enceinte de Charles V sur la rive droite et la vieille enceinte de Philippe-Auguste sur la rive gauche ; le développement des faubourgs au débouché des portes de la ville, sur un modèle de développement radial épousant les lignes de croissance repérées dès le XIe siècle.
La population parisienne
Après les désastres de la guerre (voir Paris 1300-1450, vue d’ensemble), le retour de la paix provoque un rebond de la population parisienne sur la période 1450-1550 avant que, du fait des guerres de religion (1562-1598), la population régresse à nouveau sur la seconde moitié du XVIe siècle.
Ces tendances sont certaines, mais les données font défaut pour les traduire en chiffres [1]. Les registres paroissiaux auraient pu fournir des informations précieuses sur les baptêmes – dont l’enregistrement est rendu obligatoire en août 1539 par l’ordonnance de Villers-Cotterêts – ou sur les mariages et les sépultures – dont l’ordonnance de Blois de mai 1579 prescrit l’inscription. Mais les 4000 registres paroissiaux conservés à l’Hôtel de Ville ont été détruits dans l’incendie allumé par la Commune en 1871. Pour évaluer la population, on peut alors se référer aux chiffres avancés par les contemporains, situés dans une fourchette très large toutefois, entre 300 000 et 500 000 habitants pour la première moitié du XVIe siècle, entre 200 000 et 350 000 pour les années 1590. On peut aussi trouver une indication dans le nombre des maisons, donné à 12 000 selon le prévôt des marchands en 1553, à 16 640 selon le rôle de la taxe de 1571, pour Paris et ses faubourgs. Au final, pour s’en tenir aux chiffres proposés par Jean-Pierre Babelon, la ville a pu compter 200 000 habitants vers 1500, 350 000 vers 1550, 300 000 vers 1565, 350 000 vers 1588, 200 000 durant le siège de 1590, 300 000 vers 1600, une partie de ces variations s’expliquant par des mouvements temporaires de populations liés à l’insécurité de l’époque. En tout état de cause, si on se souvient que les estimations données pour l’année 1444 s’inscrivent dans une fourchette de 100 000 [2] à 150 000 habitants, la progression est considérable.
Cette croissance de la population est alors générale en Europe, où le nombre de villes de plus de 100 000 habitants passe de 4 en 1500 (Paris, Naples, Milan et Venise) à 10 en 1600 (Paris, Naples, Londres, Venise, Séville, Lisbonne, Milan, Palerme, Prague et Rome) [3] tandis qu’en parallèle, le semis des villes se densifie : la distance moyenne entre villes au seuil de 10 000 habitants se réduit de 115 à 96 kilomètres pour l’Europe, de 62 à 56 kilomètres pour la France, entre 1500 et 1600 [4].
Dans ce contexte général, Paris bénéficie dès le milieu du XVe siècle, d’une reprise d’activité qui accroît la puissance financière des gros marchands, et leur capacité d’habiter, de construire et d’embaucher. Cette reprise favorise en même temps l’émigration provinciale, tandis que la présence du roi à Paris ou en région parisienne, à partir de François Ier, incite les grands à chercher une résidence en ville : princes, grands officiers, conseillers du roi, gentilshommes et financiers [5].
L’espace parisien
Les transformations de l’espace parisien qui en résultent sont bien aperçues par les contemporains [6]. Dans Les Antiquitez, histoires et singularitez de Paris, Ville capitale du royaume de France, dont la première édition date de 1550, Gilles Corrozet décrit l’expansion urbaine :
« On feit de son temps [du roi François Ier (1515-1547)] ouverture de la porte de Bussi bastie toute de neuf [la porte de Bucci, percée dans l’enceinte de Philippe-Auguste dès sa construction entre 1200 et 1215, était murée depuis 1430]. A ceste occasion, les grandz seigneurs, mesme ceulx de la justice et les bourgeois, feirent bastir hors icelle porte, et en tout le faulxbourg sainct Germain de prez grand nombre de beaux hostelz et riches maisons : et non seulement en ce lieu, mais ès faulxbourgs sainct Victor, depuis Coppeaux jusques à sainct Marceau, faulxbourg sainct Jacques et sainct Michel : tellement qu’ilz sont augmentez de moitié. Autant en a esté fait au faulxbourg sainct Denys sur la montaigne et voerie du grand moulin, qu’on appelle à présent la Villeneuve [quartier Bonne-Nouvelle] ; à la porte Montmartre, et généralement en tous les faulxbourgs de Paris, continuant par nouvelles rues d’un faulxbourg à l’autre : car la moitié des terres desditz lieux ont esté emploiées en bastimens, de sorte que le tout ensemble nouveau basti feroit monstre d’une bien grand ville. Ainsi furent baillez à bastir l’hostel de Flandres […], les hostelz de Bourgogne, et d’Artois, et d’Orléans à sainct Marceau, les terres et closture Catherine du val des escoliers, les terres de derrière les Célestins, l’hostel de la Royne, et derrière sainct Paul, les jardins qi estoient encores demourez derrière et à l’entour sainct Eloy, une partie de la cousture ou closture du Temple, et autres lieux [7]. »
C’est le développement des faubourgs que remarque d’abord Gilles Corrozet, tant rive gauche – avec les faubourgs Saint-Germain, Saint-Michel, Saint-Jacques, Saint-Marceau, Saint-Victor – que rive droite – avec les faubourgs Saint-Denis et Montmartre, mais il faudrait citer aussi les faubourgs Saint-Honoré, Saint-Martin, du Temple, Saint-Antoine (voir Le développement des faubourgs 1450-1600).
Cette expansion des faubourgs inquiète les autorités, à une époque où la croissance urbaine se heurte à la question des subsistances. La crainte que surviennent des problèmes insolubles d’alimentation de la ville explique l’édit de Saint-Germain-en-Laye du 23 novembre 1548, par lequel Henri II (1547-1559) interdit de bâtir de nouvelles maisons dans les faubourgs.
Cette interdiction – même si elle ne fut pas vraiment ni longtemps respectée – conduisit à accroître la densité intra-muros. Au-delà des lotissements dont parle Gilles Corrozet – l’hôtel de Flandres, l’hôtel Saint-Paul, la Couture Sainte-Catherine (voir La Couture Sainte-Catherine), la Couture du Temple – la ville se bâtit en hauteur. « La rue-chemin du XIIe siècle, bordée de maisons basses ou des murs de ses nombreux enclos, se déforme peu à peu et se resserre par les empiètements successifs de constructions de plus en plus élevées, mais tout aussi vulnérables au feu […]. Ainsi, dans les quartiers les plus denses (pratiquement tout le Paris compris à l’intérieur des murs de Philippe-Auguste), les rues tendaient à n’être plus, au XVIe siècle, que d’étroits couloirs sinueux avec saillies et rentrants […] [8]»
Les premiers plans de Paris
Cette réalité, on peut commencer à l’apercevoir au travers des premiers plans de Paris [9].

Les premiers plans de villes datent du XVIe siècle. Pour Paris, le tout premier travail de relevé pourrait avoir été réalisé entre 1523 et 1530, révisé en 1535 et en 1550. Ce « plan premier » est aujourd’hui perdu, mais il est généralement admis qu’il se trouve à l’origine des plans qui nous sont parvenus : le plan de Munster (gravé en 1548-1549) et le plan Braun et Hogenberg (publié en 1572) reflètent son état de 1530 ; le plan dit de la Grande Gouache (dessiné en 1540) et le plan de la Tapisserie (tissé vers 1570) son état de 1535 ; les plans d’Arnoullet (gravé en 1551), de Saint-Victor (gravé en 1552), de Truschet et Hoyau, dit plan de Bâle (gravé en 1553), et le plan de Belleforest (gravé en 1575), son état de 1550.
CARTES
Michel Huard, Atlas historique de Paris :
Cartes du XVIe siècle :
BIBLIOGRAPHIE
BABELON Jean-Pierre, Nouvelle Histoire de Paris : Paris au XVIe siècle, Paris, Association pour la publication d’une Histoire de Paris, Hachette, 1986, 626 p.
FAVIER Jean, Nouvelle Histoire de Paris : Paris au XVe siècle, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 1997, 485 p.
PINON Pierre, LE BOUDEC Bertrand, Les plans de Paris, Histoire d’une capitale, Paris, Atelier Parisien d’Urbanisme / Bibliothèque Nationale de France / Le Passage / Paris bibliothèques, 2004
ROULEAU Bernard, Le tracé des rues de Paris, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1975, 129 p. [1ère édition 1967]
ZELLER Olivier, « La ville moderne » in Jean-Luc PINOL, Histoire de l’Europe urbaine, Paris, Editions du Seuil, 2003, vol. I, 969 p.
NOTES
[1] Pour cette partie, la source principale est BABELON 1986, p. 160-166
[2] FAVIER 1997, p. 61
[3] ZELLER 2003, p. 602
[4] ZELLER 2003, p. 620
[5] BABELON 1986, p. 195
[6] Pour cette partie, la source principale est BABELON 1986, p. 195-213
[7] Fol. 163-164, cités in BABELON 1986, pp. 196-197 (pour la porte de Buci, voir p. 248)
[8] ROULEAU 1975, p. 61
[9] Pour cette partie, la source est PINON 2004, p. 27
ILLUSTRATIONS
(1) Gallica BNF : Cris de Paris (1550) : « Beaulx a b c belles heures » (le marchand de livres), « Hren coz haren coz » (la marchande de harengs), « Gros quotres ces » (le marchand de cotrets)
(2) Gallica BNF : Gilles Corrozet, Les antiquitez, histoires et singularitez excellentes de la ville, cité et université de Paris, capitale du royaume de France , édition de 1561
(3) Plan de Braun et Hogenberg
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