Le présent article, consacré au faubourg Saint-Honoré, est le deuxième d’un ensemble de quatre articles qui décrit le développement des faubourgs de Paris de 1600 à 1790, le premier étant consacré au faubourg Saint-Germain (1/4), le troisième à la Chaussée-d’Antin et au faubourg Poissonnière (3/4), le dernier à la Couture extérieure du Temple et au faubourg Saint-Antoine (4/4).
Le faubourg Saint-Honoré
Vers 1600, l’espace urbanisé du faubourg Saint-Honoré ne déborde pas des limites de Paris, redessinées à cet endroit par l’enceinte de Charles IX. Au débouché de la porte Saint-Honoré [à hauteur du 422 rue Saint-Honoré], s’ouvre une campagne faite de terres de culture et de maraîchage, d’où émergent au loin les villages du Roule [autour de l’actuelle place des Ternes] et de la Ville-l’Evêque [autour des actuelles rues de la Ville-l’Evêque et de Surène].
Entre 1600 et 1700, le paysage commence à se transformer : la chaussée conduisant au Roule se construit sur le modèle des rues-faubourgs ; à l’entour, sont aménagées deux grandes promenades, le Cours-la-Reine en 1628 et l’avenue de Tuileries [les Champs-Elysées entre la Concorde et le Rond-Point] en 1670.
Entre 1700 et 1790, le paysage va être bouleversé. L’avenue des Champs-Elysées va se prolonger jusqu’à la butte de l’Etoile, et la rue du faubourg Saint-Honoré se couvrir de maisons et d’hôtels, tandis que tout le territoire de la Ville-l’Evêque va s’urbaniser.
Les premières décennies du XVIIIe siècle
On sait décrire le faubourg Saint-Honoré vers 1700 [1] grâce au Terrier du Roi (1701-1705), qui en fournit le plan, accompagné d’un texte qui donne rue par rue, et dans chaque rue, parcelle par parcelle, les noms des propriétaires, la nature des lieux et souvent leur superficie et des informations sur les occupants. On sait ainsi que des constructions se déploient le long des rues du faubourg Saint-Honoré (30 portes cochères sur 107 parcelles), de la Madeleine [rue Boissy-d’Anglas, au nord de la rue du faubourg Saint-Honoré], d’Anjou, de Surène, de la Ville-l’Evêque. On trouve là, sur des parcelles étroites et de faible superficie, des ateliers d’artisans et de nombreuses boutiques, d’alimentation en particulier. En allant vers le Roule, les surfaces bâties sont plus clairsemées, élevées au fond de cours fermées par un mur sur la rue. La profession la plus représentée est celle des jardiniers. Quelques-uns sont propriétaires de leur terrain ; le plus souvent, ils les louent à des propriétaires qui demeurent, pour la plupart, dans Paris.
Le Travail des limites (1726-1728) (voir Paris 1700-1790, vue d’ensemble) permet de mesurer l’ampleur des transformations du faubourg dans les premières décennies du XVIIIe siècle. Les guerres de la fin du règne de Louis XIV ont enrichi les financiers – receveurs généraux des finances, fermiers généraux, traitants aux affaires extraordinaires – et les grandes familles de la noblesse – qui, sous leur couvert, avancent au roi, à des taux de 16 à 25 %, les fonds dont il a un urgent besoin – tout comme les munitionnaires, qui fournissent les matériels, vivres, fourrages, etc., nécessaires aux armées royales [2]. La frénésie de spéculations enclenchées à l’époque de Law (1719-1720) leur a offert en surplus l’opportunité d’acquérir des biens fonciers, payés en billets avant la banqueroute.
Ce contexte a été favorable au faubourg Saint-Honoré. La toise de marais [3] est bon marché, la demande de constructions importante, encore renforcée par la présence de la Cour à Paris de 1715 à 1722. L’initiative est prise par l’architecte Germain Boffrand qui, le 19 avril 1712, achète pour 12 000 livres un grand marais sur lequel il fait bâtir un hôtel pour 44 000 livres, achevé en 1714 [n° 62 à 74 rue du faubourg Saint-Honoré]. Boffrand le loue à l’ambassadeur de Hollande puis le vend en 1719 au duc de Duras, pour 125 000 livres. Un autre architecte, Armand Claude Mollet, achète et réunit plusieurs jardins maraîchers sur la rive sud de la rue du faubourg Saint-Honoré, qu’il revend à Law en faisant un bénéfice de 15 livres par toise. Law cédera les terrains à Henri de la Tour d’Auvergne, comte d’Evreux, qui y construira en 1718 l’hôtel portant son nom [aujourd’hui, l’Elysée]. De nombreux autres hôtels s’alignent sur cette rive sud [4] : l’hôtel du comte de Feuquières (1720) [n° 27], les hôtels de Rohan-Montbazon (1719) [n° 29], de Marbeuf (1718) [n° 31], de Charost (1723) [n° 39], d’Aguesseau (1720) [n° 41]…

Sur la rive nord – sauf l’exception notable de l’hôtel de Duras – la transformation est moins radicale du fait de la proximité de la Ville-l’Evêque, déjà très peuplée à l’époque, qui limite la profondeur des terrains donnant sur la rue du faubourg Saint-Honoré. Au nord de la rue de la Ville-l’Evêque, s’engage toutefois une opération d’envergure. En février 1720, Moïse Augustin de Fontanieu, intendant et contrôleur général des meubles de la Couronne, associé à l’architecte Mollet, se porte acquéreur de tous les terrains compris entre cette rue et le grand égout, qui s’écoule au nord de l’actuelle rue Roquépine. Ces terrains sont alors en marais. Le projet est de les lotir pour établir un nouveau quartier. L’opération s’engage bien. Entre avril 1722 et mars 1724, plusieurs lots trouvent acquéreurs, surtout des gens du bâtiment : maçons, charpentiers, menuisiers, entrepreneurs. La déclaration du 18 juillet 1724 (voir Paris 1700-1790, vue d’ensemble) arrête brutalement cette opération, comme tout le développement du faubourg [5].
Toute activité ne cesse pas pour autant. En s’exonérant du respect des règles, ou en s’appuyant sur la dérogation accordée pour certaines rues du faubourg par la déclaration du 31 juillet 1740, certains propriétaires continuent de bâtir. Mais la spéculation est retombée. Entre 1741 et 1748, durant la guerre de succession d’Autriche, les financiers préfèrent les fournitures aux armées aux investissements fonciers et immobiliers.
La conclusion de la paix d’Aix-la-Chapelle (1748) et la création de la place Louis XV vont ouvrir une nouvelle période de développement.
La place Louis XV
La place Louis XV [place de la Concorde] est aménagée à partir de 1756, suivant un projet d’Ange Gabriel, Premier Architecte du Roi. A l’origine de cet aménagement, se trouve la décision de Louis XV de donner ce terrain, propriété de la Couronne, à la Ville pour y ériger la statue équestre qu’elle a commandée à Bouchardon en 1748. Le Bureau de la Ville entend honorer le roi « au moment où la paix a été rendue à l’Europe par son esprit de justice et de désintéressement » tout en procurant à la capitale « dont la grandeur et la magnificence font déjà l’étonnement des étrangers, les embellissements dont elle est encore susceptible [6]».
Le projet de Gabriel, dont la version définitive est approuvée le 9 décembre 1755, est issu d’un concours ouvert aux seuls architectes académiciens – un premier concours, ouvert à tous les architectes et amateurs, dans des conditions toutes différentes, n’ayant pas abouti. Le projet le plus intéressant de ce second concours semble avoir été celui de Boffrand. « Mais on renonça à confier la réalisation à cet architecte de quatre-vingt-six ans et Gabriel, Premier Architecte, fut chargé d’exécuter son propre plan en s’inspirant des projets concurrents. [7]» S’écartant du modèle des autres places royales, ensemble fermé de bâtiments sur plan géométrique, il préserve les divers éléments du paysage – Seine, Tuileries, Champs-Elysées – en ne prévoyant de bâtiments qu’au nord de la place. « La nouvelle place royale devenait entrée royale par laquelle le souverain pourrait arriver en se rendant de Versailles aux Tuileries : Louis XV reprenait la politique de son prédécesseur, tendant à monumentaliser les entrées de Paris. [8]»
Sur le plan de Jaillot (1775), on repère l’emplacement de la statue de Louis XV, qui a été installée le 20 juin 1763. On aperçoit aussi, au nord-est de la place, l’hôtel affecté au Garde-meuble, qui a été réalisé entre 1769 et 1774. Au nord-ouest, le futur hôtel, destiné à la location privée, a été conçu selon le principe adopté cinquante ans plus tôt place Vendôme : Gabriel n’a construit que les façades. La parcelle, divisée en quatre lots, sera proposée à l’achat par des particuliers, à charge pour eux de compléter la construction et de l’aménager [9].
Deux hôtels devaient encadrer les précédents ; seul celui de l’est, l’hôtel Saint-Florentin, sera construit. Gabriel en a donné le dessin tout comme celui des façades de la rue Royale [10].
La rue Royale, née de l’élargissement de la rue du Rempart, ouvre un axe qui devait déboucher sur la nouvelle église de la Madeleine, confiée à Pierre Contant d’Ivry. « Son idée, approuvée en 1764, consistait à élever un édifice en croix latine avec une coupole [c’est ce projet qu’anticipe Jaillot]. L’ouvrage aurait eu une certaine ressemblance avec la Sainte-Geneviève que Soufflot projetait dans les mêmes années ; comme celle‑ci, la Madeleine devait présenter du côté principal un portique d’ordre colossal, trait qui a persisté à travers toutes les péripéties que la réalisation a connues […] Quand survint la Révolution, les murs commençaient à peine à s’élever et le portique était construit. [11]» Ces murs seront en partie démolis en 1807, lorsque Vignon reprendra la construction pour édifier le temple à la gloire de la Grande Armée qui, finalement, deviendra l’église actuelle [12].
Dernier étape de l’aménagement de la place, la construction du pont Louis XVI [pont de la Concorde] ne sera entreprise qu’en 1788 pour s’achever en 1791 (en utilisant des pierres provenant de la Bastille « afin que le peuple pût continuellement fouler aux pieds l’antique forteresse [13]»).

En dépit de ces aménagements, la place Louis XV restera longtemps un lieu excentré et peu fréquenté, que Chateaubriand, revenant à Paris au printemps de 1800, décrit ainsi : « Quant à la place Louis XV, elle était nue ; elle avait le délabrement, l’air mélancolique et abandonné d’un vieil amphithéâtre ; on y passait vite […] [14]».
Les dernières décennies du XVIIIe siècle
En parallèle à la création de la place, la spéculation sur les terrains renaît.
Des lotissements projetés avant 1724 aboutissent enfin. Les terrains acquis en 1720 par de Fontanieu et Mollet au nord de la rue de la Ville-l’Evêque sont vendus par leurs héritiers et seront pour la plupart construits avant 1765. Ceux que le duc de Noailles a acquis, en 1720 également, sur la rive nord de la rue du Faubourg-Saint-Honoré [du n° 82 au n° 116], sont vendus en 1758 à Jean François Sandrié de Bièvre, entrepreneur des bâtiments du roi, lequel les cédera à son tour en 1765 à des architectes – Pierre François Lardant, Claude Germain Armand, Antoine Periac – ou des maîtres maçons – Pierre Margueron, Jean-Baptiste Lefaivre, Denis Sandrié de Vincourt – qui, tous, feront construire [15].

Sur la rive sud de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, le fermier général Etienne Bouret fait construire plusieurs hôtels entre 1767 et 1769 [n° 43 à 53]. Plus à l’ouest, au-delà de l’avenue de Marigny ouverte en 1767, la marquise d’Argenson fait édifier son hôtel en 1758 [n° 65] et bâtir sur les parcelles avoisinantes [n° 59 à 69]. Les fermiers généraux Marquet de Peyre, Dangé et Le Roy de Senneville s’intéressent eux aussi au faubourg dans ces mêmes années, et y bâtissent plusieurs hôtels sur des terrains encore disponibles [16]. En 1777, le comte d’Artois rachète les terrains de l’ancienne pépinière de Louis XIV [entre les rues de Berri, du Faubourg-Saint-Honoré, du Colisée et l’avenue des Champs-Elysées], et en 1779-1780 ceux du Colisée [à situer entre la rue Rabelais, la rue du Colisée et les Champs-Elysées] pour constituer le Fief d’Artois. Outre le terrain nécessaire pour y construire ses écuries, il y découpe 38 parcelles, dont il ne parviendra toutefois à vendre qu’une partie [17]. D’autres spéculateurs interviennent sur de moindres échelles, y compris de petits propriétaires du quartier, qui s’assurent d’une parcelle qui prend du prix dans l’espoir de la revendre à de plus gros [18].
En conséquence de ces lotissements, plusieurs rues sont ouvertes : en 1774, la rue Verte [de Penthièvre] est prolongée [rue Roquépine] jusqu’à la rue d’Astorg, percée à la même date ; au nord de la rue Verte, le chemin de l’égout devient en 1777 la rue d’Angoulême-Saint-Honoré [rue La Boétie entre les Champs-Elysées et la rue du Faubourg-Saint-Honoré] et, de l’autre côté de la rue, le chemin du Roule aux Porcherons, élargi et aligné, prend en 1782 le nom de rue de la Pépinière [rue La Boétie au nord de la rue du Faubourg Saint-Honoré].

dessin de Jean-Baptiste Lallemand (1716-1803)
Prolongeant vers le nord l’avenue de Marigny, la rue Guyot [rue de Miromesnil, tronçon méridional] est percée en 1776 ; la rue Matignon [avenue Matignon, entre les rues Rabelais et du Faubourg-Saint-Honoré], ouverte en 1775, est prolongée en 1784 jusqu’à la rue Verte [de Penthièvre] sous le nom de Petite Rue Verte [partie nord de l’avenue Matignon] [19].
A l’ouest du grand égout, au-delà de l’église Saint-Philippe-du-Roule, la jonction se fait, le long de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, avec le hameau du Roule et même, franchissant le mur des Fermiers généraux, avec les Ternes. La rue est bordée de quelques hôtels voisins de maisons plus modestes : boutiquiers, officiers et aristocrates se côtoient. Des sculpteurs y habitent en raison de l’implantation d’une fonderie de la Ville de Paris – dont les plus célèbres sont Pigalle et Jean Antoine Houdon [20].
CARTES
Michel Huard, Atlas historique de Paris :
Cartes des XVIIe et XVIIIe siècles :
- Plan de Vassalieu, dit Nicolay (1609)
- Plan de Gomboust (1652)
- Plan de Jouvin de Rochefort (1672)
- Plan de Bullet et Blondel (1676)
- Plan de Delagrive (1728)
- Plan de Roussel (1730)
- Plan de Louis Bretez, dit Plan de Turgot (1739)
- Plan de Jaillot (1775)
- Plan de Verniquet (1790)
BIBLIOGRAPHIE
BRUNEL Georges, DESCHAMPS-BOURGEON Marie-Laure, GAGNEUX Yves, Dictionnaire des églises de Paris, Paris, Hervas, 2000, 435 p. [1995],
CHAGNIOT Jean, Nouvelle Histoire de Paris : Paris au XVIIIe siècle, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 1988, 587 p.
DESSERT Daniel, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984, 824 p.
DETREZ Alfred, Le faubourg Saint-Honoré, de Louis XIV au Second Empire, Paris, Henri Lefebvre, 1953, 403 p.
FILLOLES-ALLEX Christiane, « Histoire, topographie et urbanisme » in ANDIA Béatrice, FERNANDES Dominique (textes réunis par), La rue du faubourg Saint-Honoré, Paris, Délégation à l’action artistique de la ville de Paris, 1994, p. 23-42
HILLAIRET Jacques, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Editions de Minuit, 1963, 3 vol.
LAVEDAN Pierre, Nouvelle Histoire de Paris : Histoire de l’urbanisme à Paris, Paris, Association pour la publication d’une Histoire de Paris, 1993, 732 p. (avec un supplément de Jean Bastié) [1ère édition 1975]
POISSON Georges, Nouvelle Histoire de Paris : Histoire de l’architecture à Paris, Paris, Association pour la publication d’une Histoire de la ville de Paris, Hachette, 1997, 765 p.
PRONTEAU Jeanne, DERENS Isabelle, Histoire Générale de Paris, Introduction Générale au Travail des Limites de la Ville et des Faubourgs de Paris (1724-1729), Paris, Editions des Musées de la Ville de Paris, 1998, 394 p.
NOTES
[1] PRONTEAU 1998, p. 198-200
[2] DESSERT 1984
[3] Marais : Terrain bas situé dans l’enceinte ou à l’entour de Paris (ou d’une ville importante) propre à la culture intensive des légumes (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consulté le 18/01/18)
[4] HILLAIRET 1963, I p. 503-510
[5] Pour ce § et le précédent, la source est PRONTEAU 1998, p. 202-212
[6] Délibération du Bureau de la Ville du 27 juin 1748, cité in LAVEDAN 1975, p. 243
[7] POISSON 1997, p. 293
[8] POISSON 1997, p. 293
[9] POISSON 1997, p. 294
[10] POISSON 1997, p. 294
[11] BRUNEL 2000, p. 291
[12] POISSON 1997, p. 373
[13] Cité in POISSON 1997, p. 295
[14] Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Paris, Gallimard (Bibliothèque de La Pléïade), 1951, vol. 1, p. 438
[15] PRONTEAU 1998, p. 237-242
[16] CHAGNIOT 1988, p. 246
[17] FILLOLES-ALLEX 1994, p. 40-41
[18] DETREZ 1953, p. 32
[19] Pour ce § et le précédent, la source est HILLAIRET 1963 (aux articles des rues citées)
[20] FILLOLES-ALLEX 1994, p. 39
ILLUSTRATIONS
(1) Plan de Delagrive (détail)
(2) Place Louis XV, dessin anonyme – Gallica BNF
(3) Plan de Jaillot (détail)
(4) Dessin de Jean-Baptiste Lallemand –Gallica BNF
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