A la fin du XVIIIe siècle, Paris, ville ouverte depuis le règne de Louis XIV, se trouve à nouveau enfermé dans une enceinte. Cette enceinte, à la différence de toutes celles qui l’ont précédée, ne répond pas à un impératif de défense. Sa raison d’être est fiscale : elle est édifiée pour permettre à la Ferme Générale de contrôler l’ensemble des voies d’accès à la ville.
Sur un pourtour de 24 kilomètres, elle se présente comme un mur de 3 mètres de haut, 1 mètre de large, que longe intra-muros un chemin de ronde de quelque 12 mètres, et que bordent extra-muros des boulevards larges de quelque 42 mètres [1].
58 barrières ponctuent le mur, où sont établis les bureaux de la Ferme chargés de contrôler les marchandises entrant dans Paris et de percevoir les droits d’entrée qui pèsent sur le vin et les boissons, les animaux à pied fourché, la paille, le bois, le charbon, les fruits cuits, la viande dépecée, le gibier, la volaille [2].
Engagés en 1784, les travaux seront presque achevés quand l’Assemblée Constituante décidera, le 19 février 1791, la suppression des droits d’octroi. Ces droits seront rétablis en 1798 et le mur, en partie dégradé, sera restauré. Il disparaîtra lorsque l’annexion de 1860 déplacera les limites de Paris sur la nouvelle enceinte de Thiers. Le chemin de ronde et les boulevards extra-muros seront alors partout réunis pour former les boulevards actuels.
Bien qu’il ne subsiste aujourd’hui que les rotondes de Chartres (au parc Monceau) et de La Villette (place de la bataille de Stalingrad), les barrières du Trône (place de la Nation) et d’Enfer (place Denfert-Rochereau), et une portion de mur, rue Jenner [3], le tracé du mur se repère aisément en raison de la permanence des boulevards, sur lesquels ont été édifiées les lignes 2 et 6 du métro qui s’y superposent sur la quasi-totalité de leur parcours.
Ce tracé du mur, tel qu’il est défini en 1784, enserre l’espace alors urbanisé. « Une étude des zones bâties à la veille de la Révolution, et en particulier une comparaison entre les plans de Jaillot (1775) et de Verniquet (1790), montrent que le mur tenait compte, au plus près, de l’extension des faubourgs et de l’existence de propriétés importantes ou de couvents. [4]» Mais il s’appuie aussi « sur des sommets de collines ou des rebords de plateaux dont l’urbanisme du XVIIIe siècle a ainsi créé ou préparé le rôle de plaque tournante du Paris actuel : places d’Italie, Denfert-Rochereau, du Trocadéro, de l’Etoile. »
Il faut suivre ce tracé dans le détail pour comprendre la forme actuelle des boulevards, et surtout pour cerner les limites de Paris à la veille de la grande expansion du XIXe siècle.

Sur la rive gauche, le mur suit les boulevards du Midi, déjà existants, entre la place de la Barrière-d’Italie [place d’Italie] et la place d’Enfer [place Denfert-Rochereau] et les dédouble extra-muros avec la création des boulevards d’Italie [boulevard Auguste-Blanqui entre la place d’Italie et la rue de la Glacière], de la Glacière [boulevard Auguste Blanqui entre la rue de la Glacière et la rue de la Santé], de la Santé [boulevard Saint-Jacques entre les rues de la Santé et de la Tombe-Issoire] et d’Arcueil [boulevard Saint-Jacques entre la rue de la Tombe-Issoire et la place Denfert-Rochereau] [5].
Au-delà de la place d’Enfer [place Denfert-Rochereau], le mur contourne des terrains et des fermes appartenant à l’Hôtel-Dieu et à l’Hôpital de la Charité, qu’il laisse hors Paris grâce au détour des boulevards de Montrouge [boulevard Raspail à partir de la place Denfert-Rochereau et boulevard Edgar-Quinet jusqu’à la rue de la Gaîté] et de Vanves [boulevard Edgar-Quinet entre la rue de la Gaîté et l’avenue du Maine].

Passé l’avenue du Maine, le mur et les boulevards des Fourneaux [boulevard de Vaugirard et boulevard Pasteur jusqu’à la rue Falguière], d’Issy [boulevard Pasteur, entre les rues Falguière et de Vaugirard, formé en 1838] et de Vaugirard [boulevard Pasteur entre les rues de Vaugirard et de Sèvres, formé en 1838] forment un coude qui permet d’inclure dans Paris l’Hôpital de l’Enfant-Jésus [144 rue de Vaugirard] avant de venir couper à angle droit, sur les rues de Vaugirard et de Sèvres, la zone bâtie qui va rejoindre le village de Vaugirard.
Passé la rue de Sèvres, « la plaine de Grenelle sablonneuse et inhabitée n’offrait en 1789 aucun obstacle au passage du mur et du boulevard ». Le long des boulevards de Sèvres [boulevard Garibaldi entre la rue de Sèvres et l’avenue de Ségur, formé en 1838], des Paillassons [boulevard Garibaldi entre l’avenue de Ségur et la place Cambronne], de Meudon [boulevard de Grenelle entre la place Cambronne et la rue du Commerce], de Grenelle [boulevard de Grenelle entre les rues du Commerce et Lourmel], et de Javel [boulevard de Grenelle entre la rue du Lourmel et la Seine], le mur rejoint la Seine en ligne droite, sauf le détour nécessaire pour inclure dans Paris le château et la ferme de Grenelle [place Dupleix].
De l’autre côté de la Seine, le mur commence à la Barrière des Bons-Hommes [angle de la rue Beethoven et de l’avenue de New-York] et longe le fleuve sur à peu près 200 mètres, avant de bifurquer à angle presque droit en direction du nord-ouest, au travers des actuels jardins du Trocadéro [6], pour épouser la limite qui sépare le couvent des Bons-Hommes, qu’il laisse hors Paris, et celui de la Visitation Sainte-Marie. A partir de là, le mur et les boulevards de Longchamp [avenue Kléber depuis la place du Trocadéro jusqu’à la rue de Longchamp] et de Passy [avenue Kléber entre les rues de Longchamp et de Belloy, puis rue La Pérouse] s’orientent vers le nord-nord-est pour couper à angle droit, au centre de la place de l’Etoile, l’avenue des Champs-Elysées, non sans éviter toutefois un détour [le boulevard suivant la rue La Pérouse, et le chemin de ronde la rue Dumont-d’Urville] pour « contourner le bâtiment de l’Ecole des Orphelins militaires que le chevalier Pawlet faisait élever du temps de la construction du mur » mais qui ne sera jamais achevé [7].

L’axe qui traverse la place de l’Etoile se prolonge en ligne droite, le long du boulevard de l’Etoile [avenue de Wagram], jusqu’à la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Le mur et les boulevards de Courcelles [boulevard de Courcelles entre la place des Ternes et la rue de Courcelles], de Monceaux [boulevard de Courcelles entre la rue de Courcelles et l’avenue de Villiers] et des Batignolles prennent alors une direction nord-est-est, établie de façon à inclure dans Paris la Folie de Chartres [parc Monceau] et à en exclure le village de Monceau [autour de la rue Lévis].
Passé la rue de Clichy, le mur et le boulevard de Clichy [boulevard de Clichy entre la place de Clichy et la rue Lepic] forment un coude en vue d’inclure dans Paris, la Folie Bouexière, propriété de campagne qui avait été constituée en 1732 par le Fermier Général Le Riche de la Popelinière [elle occupait tout l’espace compris entre le boulevard et la rue de Clichy, les rues Blanche, de Douai et du Cardinal-Mercier [8]].

Au-delà, les boulevards Pigalle [boulevard de Clichy entre les rues Lepic et Houdon], des Martyrs [boulevard de Clichy entre les rues Houdon et des Martyrs], de Rochechouart [boulevard de Rochechouart entre les rues des Martyrs et de Clignancourt] et des Poissonniers [boulevard de Rochechouart entre la rue de Clignancourt et le boulevard Barbès] forment un angle rentrant pour éviter de couper en deux le domaine de l’abbaye de Montmartre.
Le mur et les boulevards de La Chapelle [boulevard de La Chapelle, entre le boulevard Barbès et la rue Marx-Dormoy] et des Vertus [boulevard de La Chapelle entre les rues Marx-Dormoy et d’Aubervilliers] bifurquent ensuite vers l’est, enserrant au plus près les dernières maisons bâties le long des voies menant à la Chapelle et à La Villette. Sur le boulevard de La Villette [boulevard de La Villette entre la rue d’Aubervilliers et l’avenue Secrétan], la barrière de la Villette est établie juste à la limite des dernières maisons du faubourg St-Martin, sur la vieille route de Flandres, et la barrière de Pantin adopte une position symétrique sur la nouvelle route de Meaux, de part et d’autre de la barrière Saint-Martin [rotonde de La Villette].
Prenant la direction du sud, les boulevards de la Butte-Chaumont [avenue de La Villette, entre l’avenue Secrétan et la place du Colonel-Fabien] et du Combat [boulevard de La Villette entre la place du Colonel-Fabien et la rue Rebeval] forment un angle rentrant en vue de laisser hors Paris le « Combat du Taureau » [à l’ange de la rue de Meaux et de l’avenue Mathurin Moreau], enclos où s’organisaient des combats d’animaux féroces et des courses de taureaux.

Ensuite, et jusqu’à Charonne, les boulevards de la Chopinette [boulevard de La Villette entre les rues Rebeval et de Belleville], de Belleville [boulevard de Belleville entre les rues de Belleville et des Couronnes], des Trois-Couronnes [boulevard de Belleville entre les rues des Couronnes et de Ménilmontant], des Amandiers [boulevard de Ménilmontant entre la rue de Ménilmontant et la place Auguste-Métivier], d’Aunay [boulevard de Ménilmontant entre la place Auguste-Métivier et la rue de La Roquette], de Fontarabie [boulevard de Ménilmontant entre les rues de La Roquette et Pierre-Bayle puis boulevard de Charonne jusqu’à la rue de Bagnolet], de Charonne [boulevard de Charonne entre les rues de Bagnolet et d’Avron] et de Montreuil [boulevard de Charonne entre la rue d’Avron et le cours de Vincennes], sont tracés à la limite de la zone bâtie le long des rues du Faubourg-du-Temple, de Ménilmontant, du Chemin-Vert, de Charonne et de Montreuil. Le tracé suit alors un axe sud-sud-est, sauf le détour nécessaire pour contourner, et laisser hors Paris, le domaine de Mont-Louis (qui, acheté par la Ville de Paris, deviendra en 1804 le cimetière du Père-Lachaise, plus tard considérablement agrandi), puis intégrer les dernières maisons de la rue de Charonne.
Au-delà du cours de Vincennes, le mur et les boulevards de Saint-Mandé [boulevard de Picpus entre le cours de Vincennes et l’avenue de Saint-Mandé] et de Picpus [boulevard de Picpus entre l’avenue de Saint-Mandé et la rue de Picpus] doivent, pour rejoindre la Seine au sud-ouest, contourner les couvents de Picpus : le couvent des chanoinesses de Saint-Augustin de la Victoire-de-Lépante [35 rue de Picpus], et celui des Pénitents réformés du tiers-ordre de Saint-François [inscrit dans le trapèze formé par les rues de Taïti, de Picpus, Dagorno et le boulevard de Reuilly [9]].

Le long des boulevards de Reuilly [boulevard de Reuilly entre la rue de Picpus et la place Félix-Eboué], de Charenton [boulevard de Reuilly entre la place Félix-Eboué et la rue de Charenton], de Bercy [boulevard de Bercy entre la rue de Charenton et la rue de Bercy] et de La Rapée [boulevard de Bercy entre la rue de Bercy et la Seine], le mur atteint la Seine en formant un coude à la hauteur de la rue de Bercy pour contourner des domaines privés qui s’étendent entre cette rue et les berges, depuis l’hôtel de La Rapée [à l’emplacement de l’Accor Hôtel Arena] jusqu’au Château de Bercy [à hauteur des n° 10-16 de la rue Marius-Delcher, à Charenton-le-Pont].
Revenant sur la rive gauche, on aurait pu s’attendre à ce que le mur rejoigne la place de la Barrière-d’Italie [place d’Italie] en suivant le mur méridional de l’enclos de la Salpêtrière [sur le tracé du boulevard Vincent-Auriol]. « Mais un vieux projet de port fluvial dénommé “Gare de Paris” avait commencé à être mis à exécution en mars 1764, époque où l’on avait embauché plus de deux mille ouvriers pour le creuser. Il se composait d’un bassin semi-circulaire auquel les bateaux auraient eu accès en tout temps par deux étroits chenaux entre lesquels une digue aurait fermé l’ensemble tout en assurant la continuité du passage le long des berges. Ce demi-cercle était accolé aux terrains de la Salpêtrière le long du fleuve. » Pour contourner ce futur bassin – mais il ne fut jamais réalisé – le mur, à partir de la Barrière de la Gare [23 quai d’Austerlitz], s’appuie donc sur l’ancienne clôture de la Salpêtrière avant de rejoindre le boulevard de l’Hôpital par la rue des Deux-Moulins [rue Jenner].
Les limites de Paris ainsi tracées – qui sont aussi, sauf quelques exceptions, les limites de l’espace urbanisé – vont fixer le cadre de la future expansion du XIXe siècle. Cette expansion prendra une forme nouvelle en intégrant les villages situés dans ce qu’on nommera désormais la « petite banlieue », elle-même enserrée bientôt dans l’enceinte de Thiers.
CARTES
Michel Huard, Atlas historique de Paris :
Cartes du XVIIIe siècle :
BIBLIOGRAPHIE
GAGNEUX Renaud, PROUVOST Denis, Sur les traces des enceintes de Paris, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 2004, 241 p.
HILLAIRET Jacques, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Editions de Minuit, 1963, 3 vol.
ROULEAU Bernard, Le tracé des rues de Paris, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1975, 129 p. [1ère édition 1967]
NOTES
[1] GAGNEUX 2004, p. 144
[2] « L’enceinte de Paris construite par les Fermiers Généraux et la perception des droits d’octroi de la Ville (1784-1791) », Bulletin de la société d’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 1912, p. 117
[3] GAGNEUX 2004, p. 144
[4] Sur le tracé du mur, la source principale (dont sont tirées les citations) est ROULEAU 1975, p. 66-69.
[5] Pour les noms des boulevards à l’époque de leur création, la source est HILLAIRET 1963 (aux articles des noms actuels).
[6] GAGNEUX 2004, p. 146
[7] GAGNEUX 2004, p. 149
[8] HILLAIRET 1963, I p. 66 (Place Adolphe-Max)
[9] HILLAIRET 1963, II p. 270 (rue de Picpus)
ILLUSTRATIONS
(1) Barrière d’Enfer, dessin anonyme –Gallica BNF
(2) Barrière des Fourneaux, estampe de Palaiseau – Gallica BNF
(3) Barrière du Roule, estampe de Palaiseau – Gallica BNF
(4) Barrière des Martyrs, dessin de Misbach – Gallica BNF
(5) Barrière de Montreuil, dessin de Misbach – Gallica BNF
(6) Barrière de La Rapée, dessin de Misbach – Gallica BNF
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3 réflexions sur “Le mur des Fermiers Généraux en 1790”
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