Entre l’an mille et 1300, la croissance de Paris au nord des monceaux Saint-Gervais et Saint-Merry / Saint-Jacques va s’appuyer sur plusieurs lignes de croissance sud-nord, les rues Saint-Denis, Saint-Martin, du Temple et Vieille-du-Temple, et sur deux pôles, l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs et le Temple.

Les bourgs de Saint-Martin-des-Champs et du Temple

Saint-Martin-des-Champs date sans doute de l’époque mérovingienne : une église portant ce nom existait au VIe siècle, entre la porte nord de Paris et la basilique Saint-Laurent [1]. On n’en sait toutefois à peu près rien avant l’extrême fin du règne de Henri Ier (1031-1060), qui rétablit l’église ruinée par les Normands, y installe des chanoines réguliers – ils seront remplacés par des moines en 1071, quand l’abbaye deviendra un prieuré clunisien – et la dote de biens fonciers.

Le roi Philippe Ier et la consécration du prieuré
par les moines de Cluny, vers 1071.
Histoire du prieuré de Saint-Martin-des Champs,
XIIIe siècle.

Cette fondation est l’origine d’un bourg : en 1070, est attestée l’existence d’une enceinte entourant ce qui devait être une exploitation rurale, en bordure de la route de Senlis en-deçà de la zone des marais. La croissance de la population du bourg entraînera la construction au XIIe siècle d’une nouvelle chapelle paroissiale, qui deviendra Saint-Nicolas-des-Champs [2] et, vers 1273, d’une nouvelle enceinte –  qui s’inscrirait aujourd’hui à l’intérieur du quadrilatère formé par les rues Saint-Martin, du Vertbois, Volta et au Maire [3].

L’Enclos du Temple trouve son origine dans l’installation à Paris au XIIe siècle de l’Ordre des Templiers, qui y établissent une de leurs maisons – vers l’église Saint-Jean-en-Grève [4] – et y obtiennent, en 1152, la création d’un port à l’est de Saint-Gervais. De ce port part une voie de communication – la rue Vieille-du-Temple – assez importante pour qu’une poterne – la Poterne Barbette – soit ouverte pour elle dans l’enceinte de Philippe Auguste lors de sa construction [5]. Cette rue Vieille-du-Temple dessine, avec les rues du Temple, Béranger et de la Verrerie, les limites dans lesquelles s’inscrit la censive du Temple à la fin du XIIe siècle – viendront s’y ajouter, en 1203-1204, des terrains situés au nord de la rue du Roi-de-Sicile [6]. C’est au nord de cette censive, que l’Enclos du Temple se bâtit dans les années 1240-1270 [7], protégé par une enceinte fortifiée en forme de trapèze qui s’inscrirait aujourd’hui entre les rues du Temple, de la Corderie, de Picardie et de Bretagne [8].

Martyre de Sainte Catherine. Heures d’Etienne Chevalier, XVe siècle. A droite en arrière-plan, l’Enclos du Temple. A gauche, le gibet de Montfaucon.

Entre les rues Saint-Martin et du Temple

Entre les rues Saint-Martin et du Temple, un tissu urbain va se constituer du fait à la fois du développement vers le sud du bourg de Saint-Martin-des-Champs, et de la croissance de la ville vers le nord.

Le mouvement s’amorce dès le XIe siècle. Au nord de la rue de la Verrerie et de l’église Saint-Merry, « quelques paysans vinrent bâtir […] plusieurs chaumières, dont le nombre augmenta rapidement. Ces habitations formèrent, vers le milieu du XIIe siècle, un village assez étendu, auquel on donna bientôt le nom de Beau-Bourg [9] ». Ce bourg s’inscrivait dans un espace que délimiteraient aujourd’hui les rues Saint-Martin, Grenier-Saint-Lazare, du Temple et Saint-Merri.

Au-delà, la construction de l’enceinte de Philippe-Auguste aurait dû constituer une barrière de croissance. Il n’en a rien été. Au nord de l’enceinte qui, sur ce tronçon [10], rejoint en ligne droite la porte Saint-Martin [sur la rue Saint-Martin, à hauteur de la rue aux Ours] à la Poterne Barbette [à peu près à l’intersection de la rue Vieille-du-Temple et de la rue des Blancs-Manteaux], les terrains sont à leur tour urbanisés à partir du XIIIe siècle.

Toute une série de rues parallèles sont ouvertes entre la rue Saint-Martin et la rue du Temple sur d’anciens chemins de terre d’exploitation agricole. Du nord au sud : les rues au Maire, des Gravilliers, du Cimetière-Saint-Nicolas et Capon [rue Chapon], au Seigneur-de-Montmorency et de Courtevillain [rue de Montmorency], Garnier-Saint-Ladre [rue du Grenier-Saint-Lazare]. Coupant toutes ces rues, la rue Trace-Putain [rue Beaubourg] prolonge vers le nord la rue centrale du Beau-Bourg, en franchissant l’enceinte à la Poterne Nicolas-Hydron percée en 1270 [11], pour rejoindre l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs [12].

Angle des rues Saint-Martin et du Vertbois : une tour dépendant de l’enceinte fortifiée du prieuré de Saint-Martin-des-Champs (très restaurée).

Entre les rues du Temple et Vieille-du-Temple

A l’est du bourg de Saint-Martin-des-Champs, se constitue au XIIIe siècle, la Ville-Neuve du Temple, qui restera peu peuplée jusqu’à ce que, vers 1280, de nouvelles rues y soient tracées qui « témoignent d’un véritable esprit de lotissement : des habitations existantes sont abattues, des tenanciers indemnisés pour ouvrir de nouveaux axes [13] ». Ces nouvelles rues s’inscrivent entre la rue du Temple et la rue Vieille-du-Temple, de part et d’autre de la rue de la Porte-du-Chaume [rue des Archives], née de l’ouverture d’une poterne de ce nom dans l’enceinte, en 1288. Sont ainsi créées, à l’ouest de cette rue centrale, et du nord au sud, les rues Richard-des-Poulies [rue Portefoin], Pastourelle, du Noyer [disparue], Jean-l’Huillier [rue des Haudriettes], des Boucheries-du-Temple [rue Braque] ; et à l’est, les rues des Quatre-Fils-Hemon [rue des Quatre-Fils], du Chantier [disparue] et de Paradis [rue des Francs-Bourgeois] [14].

Entre les rues Saint-Denis et Saint-Martin

Ce mode de croissance, qui s’appuie sur une grand-rue de faubourg (rues Saint-Martin, du Temple, Vieille-du-Temple) puis sur un réseau parallèle (rues Beaubourg, des Archives), à partir desquelles s’ouvrent toute une série de voies transversales, se reproduit à la même époque au nord de la rue des Lombards, entre les rues Saint-Denis et Saint-Martin, où s’ouvrent au XIIIe siècle – en parallèle – la rue Quincampoix et – en transversales – les rues Trousse-Vache [rue de la Reynie], Aubry-le-Boucher, aux Oues [rue aux Ours], Guérin-Boucel [disparue, à peu près sur le tracé de la rue Réaumur] [15].

Le continuum médiéval

Se dessine ainsi le modèle de croissance de la ville médiévale que décrit Henri Loyer : « L’espace du « continuum » médiéval prend la rue pour support, lui attribuant des fonctions multiples de circulation, mais aussi d’échanges ou d’activités […]. La progression de l’occupation urbaine reflète directement l’activité de ses voies majeures : à partir d’un flux linéaire – celui de la grand-rue des faubourgs – elle procède par divisions, entraînant une démultiplication en réseaux parallèles dès que le point de saturation est atteint sur la voie principale. Avant ce stade ultime, l’exploitation de la voie principale se sera faite non seulement tout au long de son parcours mais aussi sur toutes les voies secondaires qui s’y greffent et qui bénéficient, sur une profondeur variable, de sa proximité. [16]»

CARTES

Michel Huard, Atlas historique de Paris :

BIBLIOGRAPHIE

BOUSSARD Jacques, Nouvelle histoire de Paris : De la fin du siège de 885-886 à la mort de Philippe Auguste, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 2e éd. 1996, 457 p.

GAGNEUX Renaud, PROUVOST Denis, Sur les traces des enceintes de Paris, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 2004, 241 p.

LAVEDAN Pierre, Nouvelle Histoire de Paris : Histoire de l’urbanisme à Paris, Paris, Association pour la publication d’une Histoire de Paris, 1993, 732 p. (avec un supplément de Jean Bastié) [1ère édition.1975]

LAZARE Félix, LAZARE Louis, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments –  1e éd., Paris, F. Lazare,1844, 702 p. – 2e éd., Paris, Revue municipale, 1855, 796 p.

LORENTZ Philippe, SANDRON Dany, Atlas de Paris au Moyen Age. Espace urbain, habitat, société, religion, lieux de pouvoir, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 2006, 237 p.

LOYER François, Paris XIXe siècle, l’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1994, 478 p.

ROULEAU Bernard, Le tracé des rues de Paris, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1975, 129 p. [1ère édition 1967]

NOTES

[1] BOUSSARD 1996, p. 20

[2] BOUSSARD 1996, p. 92

[3] LORENTZ 2006, p. 137 (carte)

[4] LAVEDAN 1993, p. 95

[5] ROULEAU 1975, p. 52

[6] LORENTZ 2006, p. 42

[7] LAVEDAN 1993, p. 95

[8] LORENTZ 2006, p. 154 (carte)

[9] LAZARE 1844, p. 56

[10] GAGNEUX 2004, p. 37 (carte)

[11] ROULEAU 1975, p. 52

[12] LORENTZ 2006, pp. 41-42 (carte)

[13] LORENTZ 2006, p. 43

[14] LORENTZ 2006, p. 43

[15] LORENTZ 2006, p. 41 (carte)

[16] LOYER 1994, p. 22

ILLUSTRATIONS

(1) Histoire du Prieuré de Saint-Martin-des-Champs – Gallica BNF via Wikimedia Commons

(2) Heures d’Etienne Chevalier – Musée Condé via Wikimedia Commons.

(3) Rue Saint-Martin – PI (mai 2009)

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