Les Carrières d’Amérique se situent au nord-est de Paris, dans le XIXe arrondissement. Leur exploitation cesse en 1872. Se trouvent alors sans emploi les vastes terrains que circonscrivent le boulevard Sérurier, les rues des Lilas, de Bellevue, Compans, d’Hautpoul, de Mexico [rue Manin] et des Carrières-d’Amérique. Une première urbanisation va naître de l’initiative de la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, à qui l’on doit l’ouverture de la place du Danube [place Rhin-et-Danube aujourd’hui], des rues du Général-Brunet, David-d’Angers et de Mouzaïa. La faillite de la Société laissera ces terrains vides de constructions, jusqu’à ce que s’engage une nouvelle phase d’urbanisation, dont la réalisation la plus marquante sera le quartier des villas de la Mouzaïa.
Les Carrières d’Amérique avant leur urbanisation
L’exploitation des Carrières d’Amérique remonte très loin dans le temps. « Dès l’époque de la domination romaine, les masses gypseuses de la rive droite qui se présentaient à fleur de sol sur de grandes étendues ont été exploitées […] : du flanc de la butte Montmartre à celui des buttes Chaumont, on a fouillé à découvert. L’exploitation s’est poursuivie de façon plus ou moins active au fil du temps ; à partir du XVIIe siècle, les carrières prirent un essor considérable en souterrain aux environs nord et est de Paris dans un périmètre correspondant aux actuels 10e, 18e, 19e et 20e arrondissements (65 hectares sous-minés), provoquant aux XVIIIe et XIXe siècles des fontis et de sérieux désordres en surface [1].».

En 1856, Adolphe Joanne décrit, dans Les environs de Paris illustrés : itinéraire descriptif et historique, les carrières du 19e arrondissement : « Leurs trois principales carrières portent les noms suivants : Butte-Chaumont, du Centre, d’Amérique. Les deux premières ne s’exploitent plus aujourd’hui qu’à ciel ouvert ; la carrière d’Amérique seule va encore chercher sa pierre à plâtre dans le fond de ses vastes galeries qui n’ont pas moins de 1000 mètres de profondeur et dont d’énormes piliers supportent les voûtes hautes de 15 mètres, consolidées çà et là par des échafaudages. Avant dix ans, ces trois carrières seront complètement épuisées jusqu’à la limite où les règlements de police leur permettent de s’étendre. Celle de la Butte-Chaumont a déjà dû diminuer considérablement sa production. Dans leur état actuel, elles emploient environ 800 ouvriers (de 250 à 275 par carrière) qui gagnent de 3 à 4 francs par jour. Elles produisent chaque année 150 000 mètres cubes de plâtre (50 000 mètres par carrière). Depuis vingt années elles se livrent à trois sortes d’industrie. Elles ne se contentent plus de fabriquer du plâtre : comme au-dessus des bancs de pierre à plâtre il y a de 20 à 25 mètres d’argile et de marne, elles fabriquent aussi des briques et de la chaux [2].»
A cette époque, les Carrières d’Amérique appartiennent à Jacques Montéage, maître de carrières et fabricant de plâtre, selon les mentions le désignant dans l’Annuaire du Commerce et de l’Industrie. Il en a progressivement acquis les terrains à partir de 1846. Entre le 30 juillet de cette année-là et le 15 novembre 1850, au terme de 15 transactions, il s’est rendu propriétaire de 212 624 m², pour une dépense de 344 510 francs [3]. Saisissant ultérieurement toutes les opportunités d’achats, il finira par se constituer – en y ajoutant des terrains reçus de son frère par héritage – une propriété de 254 670 m², d’un seul tenant, qui occupera la quasi-totalité de l’espace inscrit dans les limites vues plus haut.

On sait décrire cette propriété grâce à un acte passé le 30 décembre 1868 devant Maître Ragot, notaire à Paris [4]. Par cet acte, Jacques Montéage apporte ces 254 670 m² de terrains en garantie auprès de divers créanciers, pour une somme globale de de 400 000 francs.
On y apprend que la propriété des Carrières d’Amérique « comprend plusieurs maisons et bâtiments divers, trois hectares environ de terre en parc et jardin, douze hectares environ de terre en culture, le surplus consistant en terres à plâtre, exploitées en grande partie, et sur lesquelles il existe un établissement de fabricant de plâtre, avec quatre fours, un bâtiment accessoire, un établissement de chaufournier, composé de deux fours, et un établissement de briquetier, comprenant deux fours, avec halle et hangars. »
On y apprend également que « M. et Mme Montéage conservent le droit de continuer l’exploitation des terrains dépendant de leur propriété comme carrière de pierre à plâtre, et d’en extraire les glaises et marnes utilisées pour la fabrication de la brique ou de la chaux ; mais qu’ils sont tenus au fur et à mesure de cette extraction, de faire les remblais et déblais, et d’opérer le nivellement régulier de chaque partie desdits terrains successivement exploités. »
Quatre ans plus tard, l’exploitation des carrières cesse. Les terrains se retrouvent désormais sans emploi. Minés par des galeries souterraines qui, même remblayées, fragilisent les sols, au surplus situés aux abords des fortifications et à l’écart des grandes voies de communication, ils se prêtent mal à des constructions. Jacques Montéage est alors informé des débats en cours, à la Ville de Paris, sur la question du lieu d’implantation définitive du marché aux chevaux. Saisissant cette opportunité, il dépose une offre, qui est acceptée. S’ouvre ainsi la première étape de la transformation des Carrières d’Amérique.
Le projet dessiné par le Traité du 20 mai 1875
L’offre de Jacques Montéage aboutit à la conclusion d’un Traité, le 20 mai 1875 [5]. On en verra successivement le contenu, puis la genèse, du côté de la Ville – les débats sur l’implantation du marché aux chevaux – et du côté de Jacques Montéage – la constitution de la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris.
Le Traité du 20 mai 1875
Le Traité du 20 mai 1875 est conclu entre la Ville de Paris et la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, que Jacques Montéage a constituée avec quelques personnes – comme on verra plus loin – et à laquelle il apporté les 254 670 m² de sa propriété.

Ce Traité prévoit dans son article 1er que sont cédés à la Ville de Paris, pris sur ces 254 670 m², les « portions nécessaires à l’exécution : 1° de quatre rues, d’une largeur de vingt mètres, partant des quatre angles d’une grande place centrale […] ; 2° d’une grande place centrale reliant les quatre voies sus désignées […] ; 3° d’un marché aux chevaux […] ; 4° d’un marché aux fourrages […] ». Les superficies cédées sont de quelque 20 000 m² pour les quatre voies [les futures rues Général-Brunet et David-d’Angers], 7000 m² pour la place [la future place Rhin-et-Danube, qui sera redimensionnée], 24 000 m² pour le marché aux chevaux et autant pour le marché aux fourrages.
L’article 2-I dispose que « sur les terrains par elle ainsi cédés à la Ville de Paris, la Société […] construira à ses frais […] au profit de la Ville de Paris, qui en deviendra propriétaire au fur et à mesure de l’exécution des travaux […] un marché aux chevaux […] et un marché aux fourrages. Les travaux de construction de ces deux marchés seront exécutés par la Société, suivant les devis, plans, coupes, élévations et nivellement soumis par la Société et approuvés par l’administration municipale, et sous la surveillance de la Direction des Travaux de Paris. Et aussitôt leur achèvement, la Société garnira le marché à ses frais et pour le compte de la Ville de Paris (qui en sera pareillement propriétaire à mesure de l’installation du matériel et du mobilier nécessaire à leur exploitation), conformément aux indications de l’administration. »
L’article 2-II prescrit l’ouverture immédiate des voies prévues et la réalisation des travaux de viabilité, qui « seront exécutés par la Société et à ses frais, d’après les indications et sous la surveillance des Ingénieurs du Service Municipal, au profit de la Ville de Paris, qui en deviendra propriétaire à mesure de leur exécution. »
L’article 2-III fixe un délai de deux ans pour l’achèvement des travaux de construction des deux marchés ainsi que des travaux de viabilité des voies et de la place à ouvrir.
Les travaux de viabilité des voies incluent le pavage, les trottoirs, plantations, bancs, appareils d’éclairage, égouts, urinoirs et conduites d’eau. Contrairement à ce que suggère l’expression « à ses frais », ces travaux ne seront pas une dépense définitive pour la Société. On apprendra en effet un peu plus loin (à la lecture de l’article 3), qu’un compte des « dépenses de viabilité et de toute nature des quatre premières voies et de la place ci-dessus indiqués » sera établi à la réception des travaux et que la Société sera autorisée à déduire 25 000 F par an de la redevance de 40 000 F dont il sera question plus loin, pendant toute la durée nécessaire à couvrir les frais engagés.

L’article 3 traite de l’exploitation des marchés aux chevaux et aux fourrages. Il concède à la Société l’exploitation « à ses risques et périls » de ces marchés, pendant une durée de trente années. « En conséquence, la Société percevra exclusivement pour son compte, pendant cette période de trente années, les divers droits exigibles dans les deux marchés par elle établis, suivant les tarifs fixés par la Ville de Paris […] », à charge pour elle de verser à la Ville une redevance de 40 000 francs par an et de prendre en charge les frais d’exploitation (entretien des bâtiments et du mobilier, éclairage, approvisionnement d’eau, assurance contre l’incendie, balayage et propreté des marchés, vidange des fosses d’aisance) et autres charges auxquelles les marchés pourraient être assujettis.
L’article 3 vise ensuite les règlements et contrôles auxquels la Société sera soumise, et les cas de résiliation de la concession.
Ces trois premiers articles dérivent des propositions initiales faites par Jacques Montéage à la Ville. L’article 4 résulte de la négociation qui s’en est suivie, au terme de laquelle il a consenti à ajouter un échange « pour l’ouverture d’une voie de raccordement éventuel avec la rue de la Vera-Cruz ». Dans cet échange, la Société cède à la Ville une bande de terrain de 434 m de long et 20 m de large qui, située sur l’emprise de la propriété, commence à l’intersection des actuelles rues Compans et du Général-Brunet, puis épouse le tracé de l’actuelle rue de Mouzaïa jusqu’à s’interrompre en impasse un peu avant la rue des Lilas, butant alors sur quelques parcelles dont Jacques Montéage ne s’était pas rendu propriétaire. Cette voie tronquée anticipe le projet qu’a la Ville de raccorder la rue de la Vera‑Cruz [rue Botzaris] au boulevard Sérurier. La Société s’engage à réaliser à ses frais les travaux de viabilisation de cette voie, sauf le bitumage des trottoirs à ajourner jusqu’à la construction des maisons en bordure. En contrepartie, la Ville cède à la Société onze lots de terrains, situés dans le 19e arrondissement – rues de Mexico [rue Manin], de Crimée et de Puebla [rue des Pyrénées] – d’une superficie totale de presque 7000 m².
A ce Traité est annexé un plan, reproduit ci-dessous.

mai 1875 (le nord est à droite) – Archives nationales
On voit sur ce plan les limites de la propriété de Jacques Montéage, marquées par une ligne bleue. La place et les quatre rues à ouvrir sont colorés en rose. En rose délavé, l’emplacement des deux marchés. En jaune, la « cinquième voie », qui prolonge la rue de Vera-Cruz [rue Botzaris] et deviendra la rue de Mouzaïa. En vert, les terrains de Jacques Montéage encore sans destination (appelés à être lotis). En violet, les quelques parcelles qu’il n’est pas parvenu à acquérir.
La genèse du traité : les débats sur l’implantation du marché aux chevaux
Ce traité est la conclusion de débats soulevés au Conseil de Paris par la question du lieu d’implantation définitive du marché aux chevaux de Paris.
Ces débats sont illustrés par trois documents :
- un rapport présenté par M. Chevalier au Conseil municipal, au nom de la 7ème commission, le 24 juillet 1873 [6] ;
- un mémoire que le préfet de la Seine expose au Conseil municipal, le 28 juillet 1874 [7] ;
- un rapport présenté par M. Bouvery au Conseil municipal, au nom de la 7ème commission, le 24 octobre 1874 [8].
La question que doit régler la Ville de Paris trouve son origine dans les travaux de percement du boulevard Saint‑Marcel, qui entraînent en 1866 la fermeture du marché aux chevaux qui se tenait là depuis 1639 [9]. Ces travaux terminés, la question posée est la suivante : faut-il réinstaller le marché aux chevaux boulevard Saint-Marcel, dans un emplacement adapté à la nouvelle configuration des lieux ? ou bien faut-il l’installer de manière définitive boulevard d’Enfer, dans l’enceinte du marché aux fourrages, où il a été transféré provisoirement en 1866 ? ou bien encore faut-il envisager une implantation nouvelle, à choisir parmi les trois sites qui sont candidats : la rue d’Alésia, le marché aux bestiaux de La Villette, les Carrières d’Amérique ?
On n’entrera pas dans le détail du mémoire et des rapports précités, qui examinent successivement chacune de ces hypothèses. On relèvera simplement que, se conformant aux propositions tant du préfet de la Seine que de la 7e commission, la Ville conclut les débats, le 23 novembre 1874, par une double décision : le marché aux chevaux est réinstallé boulevard Saint-Marcel (à proximité du boulevard de l’Hôpital) ; la proposition de Jacques Montéage est acceptée.
Le choix du boulevard Saint-Marcel peut se comprendre, au-delà des arguments techniques et financiers, par des éléments de contexte qu’expose bien le rapport Bouvery : « On ne peut nier que l’existence depuis deux siècles du marché au faubourg Saint-Marcel ait créé un état de choses qu’il paraît plus équitable à votre Commission de conserver. Autour du marché sont venus en effet se grouper des aubergistes, des restaurateurs, des fabricants de voitures et de harnais, des ateliers de charronnage, de serrurerie, de peinture et diverses professions se rattachant à l’industrie des chevaux, sans compter bien entendu les nombreux établissements créés par les marchands de chevaux eux-mêmes. Depuis le départ du marché en 1866 toutes ces industries sont languissantes, mais presque toutes ont dû et ont voulu conserver leur situation sur la déclaration faite lors du percement du boulevard Saint-Marcel que le déplacement n’était que provisoire et sur les promesses souvent faites depuis par l’Administration, que le marché serait rétabli là où il était précédemment. Les industries spéciales ne sont pas seules à souffrir. Les fournisseurs, les propriétaires sont atteints ; un grand nombre d’ouvriers n’ayant plus de travail ont dû quitter le quartier. Aussi bien des locaux sont vacants et on est peu tenté d’édifier des maisons sur les terrains existant dans les environs, dans la crainte fondée de ne pas trouver de locataires. Des établissements comme la Salpêtrière et le Jardin des Plantes sont aussi des causes d’isolement. Pour rendre le mouvement au quartier Saint-Marcel il faut y ramener le seul commerce qui le faisait exister. [10]»

Le choix d’accepter en surplus la proposition de Jacques Montéage est plus surprenant, rien ne laissant penser au départ que la Ville de Paris entendait se doter d’un second marché aux chevaux et d’un nouveau marché aux fourrages. Et l’on voit bien, à la lecture des documents, que ce qui motive la décision de la Ville, ce n’est pas la création de ces doublons, c’est l’intérêt que présente la proposition de Jacques Montéage au regard de l’urbanisation des Carrières d’Amérique.
C’est ce que dit le préfet dans son mémoire du 28 juillet 1874 : « [Le projet de traité à faire avec M. Montéage] donne à la Ville la propriété de deux nouveaux marchés et lui assurera, dès à présent, un revenu annuel de 15 000 francs. Elle offrira surtout cet avantage considérable, d’apporter la vie et l’assainissement dans tout un quartier qui ne pouvant être habité dans l’état où il se trouve, est depuis un temps immémorial le refuge des vagabonds et fait par suite obstacle à la prospérité des quartiers voisins. [11]»
C’est ce que dit aussi le rapport Bouvery du 24 octobre 1874 : « Nous croyons à une concurrence [avec le marché du boulevard Saint-Marcel] qui ne sera pas sans inconvénient, mais nous pensons cependant qu’il faut adopter la proposition de M. Montéage, à cause de l’heureux résultat qu’elle aura de doter de larges voies le quartier aujourd’hui si désolé des anciennes carrières d’Amérique. La création de ces voies nouvelles et le nivellement de terrains très-accidentés ont été pour nous les causes déterminantes de l’opinion que nous venons d’exprimer. [12]»
La genèse du traité : la constitution de la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris
Ce qui motive, à l’inverse, la proposition de Jacques Montéage, c’est bien le profit qu’il entend retirer de l’exploitation des marchés aux chevaux et aux fourrages – comme on peut l’inférer de la création d’une Société et de l’ampleur des capitaux qu’elle mobilise.
La Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris est constituée le 20 mars 1875, après que ses statuts ont été déposés le 10 mars 1875 chez Maître Constant Hocquet, notaire à Paris [13].
Les associés sont :
- Jacques Denis Montéage, propriétaire, demeurant à Paris, rue Lafayette, n° 108 ;
- Louis Emerique, propriétaire, demeurant à Bruxelles, rue de Ligne, n° 11 ;
- Charles Fontainas, propriétaire, docteur en droit, demeurant à Paris, rue de Châteaudun, n° 12 ;
- Gustave Charles Thomas Marie Chenu, chevalier de la Légion d’Honneur, propriétaire, demeurant à Paris, rue de la Faisanderie, n° 76 ;
- Ernest Gaillard, ingénieur, chevalier de la Légion d’Honneur, demeurant à Paris, rue Rossini, n° 4 ;
- Jules Heusschen, propriétaire, demeurant à Paris, rue Auber, n° 21 ;
- Jean Bayard, architecte, demeurant à Paris, rue de Miromesnil, n° 8.
La Société, constituée pour une durée de 32 années (article 2), a pour objet (article 4) :
« 1° La construction d’un marché aux chevaux et d’un marché aux fourrages sur un espace de 24 000 mètres carrés de terrain chacun environ, et les travaux de voirie nécessaires pour l’ouverture de cinq rues et d’une place, le tout conformément à la délibération prise par le Conseil municipal de la Ville de Paris, le 23 novembre 1874 ;
2° L’exploitation desdits marchés pendant trente années ;
3° La location, la mise en valeur et la réalisation de 171 320 m² environ de terrains avoisinant lesdits marchés et formant l’excédent laissé disponible après les travaux de construction et de voirie déterminé après la délibération sus-énoncée. »
Le capital social est de 3 500 000 francs, divisés en 7000 actions de 500 francs chacune (article 5).

6 500 de ces actions sont attribuées à Jacques Montéage (article 7) en contrepartie de ses apports (article 6), soit :
« 1° La concession d’un marché aux chevaux et d’un marché aux fourrages obtenu par lui suivant délibération du conseil municipal de la ville de Paris en date du 23 novembre dernier [= 1874], dans les conditions et avec les avantages déterminés par ladite délibération ;
2° Les terrains nécessaires à l’établissement desdits marchés et à l’ouverture de cinq rues et d’une place, et représentant une surface de 83 356 mètres carrés environ ;
3° 171 320 mètres carrés environ de terrain formant avec les 83 356 mètres dont il vient d’être parlé, le complément d’un terrain de 254 676 mètres, appartenant audit Sr Montéage et situés dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, entre les boulevards Sérurier et de Mexico, et les rues d’Hautpoul, Compans et de Bellevue, limités pour la presque totalité par ces diverses voies, et pour le surplus par quelques propriétés voisines. »
Les 500 actions restantes sont attribuées aux autres associés (article 8) en contrepartie d’un apport en numéraire, 250 000 francs, qui paraît plus que modeste au regard des dépenses à prévoir – et qui ne permettra même pas d’acquitter les 400 000 francs que la Société s’engage à payer aux créanciers de Jacques Montéage pour libérer les terrains qu’il avait donnés en garantie le 30 décembre 1868 (comme on l’a vu plus haut).
Pour financer ses investissements, la Société prévoit donc d’emprunter : « Indépendamment du capital actions, il sera créé 7 500 obligations de 500 francs chacune, rapportant un intérêt de 6 % l’an et amortissables en un délai de 8 années […] » (article 13).
Si la Société est prête à s’engager sur un tel emprunt, c’est qu’elle escompte des gains importants, dont l’article 37 définit déjà l’affectation :
« 1°. Sur les bénéfices de l’année, déduction faite des frais généraux et de toutes charges quelconques, après le prélèvement de 5 % destiné au fonds de réserve prescrit par la loi, il sera alloué aux actions 10 % du capital desdites actions jusqu’au remboursement total des obligations.
2°. L’excédent des bénéfices est appliqué comme suit :
- 10 % au Conseil d’Administration
- 90 % à un fonds d’amortissement dont il sera parlé à l’article suivant. »
Ce fonds d’amortissement « servira d’abord à rembourser l’intégralité des obligations en circulation, soit par tirages au sort, soit par voie de rachat ; et à amortir ensuite le capital actions lui-même » (article 38).
Si l’on essaie de calculer l’affectation du bénéfice – en supposant émis les 3 750 000 francs d’obligations – on voit que les associés escomptent un bénéfice d’au moins 916 550 francs par an, qui seul permettrait, après l’affectation au fonds de réserve de 5 % (45 718 francs) et le versement d’un dividende de 10 % (350 000 francs), de disposer d’un « excédent des bénéfices » de quelque 520 833 francs, dont 10 % permettraient le versement de jetons de présence au Conseil d’Administration (52 083 francs), et 90 % le remboursement des obligations (468 750 francs, en supposant un amortissement constant sur les 8 années).

La mise en œuvre du projet : l’exécution du Traité
Le Traité est conclu le 20 mai 1875 et les travaux sont engagés rapidement. Pour combler les carrières et niveler les terrains, les terrassiers allaient remuer à la pelle 900 000 m3 de terre [14]… Dès 1875, la « cinquième voie » – qui deviendra la rue de Mouzaïa – est percée. En 1877, la place, aujourd’hui place du Rhin-et-Danube, et les quatre voies, aujourd’hui rues du Général-Brunet et David-d’Angers, sont ouvertes. En 1878, les deux marchés sont achevés. « Le marché aux chevaux couvrait l’espace compris entre la place du Danube où il avait son entrée, et les rues David-d’Angers, du Général-Brunet et Compans. Il comprenait quatre halles métalliques pouvant abriter plus de mille chevaux et des pistes d’essai entre les bâtiments. En face de ce marché, à l’emplacement actuel de l’hôpital Hérold, le marché aux fourrages comprenait deux vastes bâtiments en matériaux légers. [15]»
Pour le financement de ces travaux, on attendait l’émission d’obligations. Il semble toutefois que la Société n’y ait pas procédé, mais pris une autre voie, que tracent trois documents.
Le premier est un contrat du 2 mai 1878 par lequel Mme Clémence Allard, épouse de M. Prosper Crabbe, prête à la Société 620 000 F, remboursables par tiers au 1er mai des années 1883, 1884 et 1885. L’intérêt est de 5 %, payable par semestre [16].
Le second est un contrat du 18 octobre 1878 par lequel M. Prosper Crabbe consent à la Société une ouverture de crédit de 200 000 F, remboursables par tiers au 10 octobre des mêmes années 1883, 1884 et 1885. L’intérêt est de 5 %, payable par trimestre. Cette ouverture de crédit sera entièrement utilisée dès le 13 novembre 1878 [17].
En même temps qu’elle autorise la conclusion de ce second contrat, l’assemblée générale des actionnaires du 30 septembre 1878 autorise la Société à conclure un troisième contrat, pour une ouverture de crédit de 400 000 F consentie par la Banque Française et Italienne, également au taux de 5 %, et remboursable par tiers à la 5ème, 6ème et 7ème année. Ce contrat est conclu le 11 octobre 1878 et l’ouverture de crédit entièrement utilisée le 25 janvier 1879 [18].
La somme de 1 220 000 F ainsi obtenue couvre une très large part des investissements de la Société, comme on le verra plus loin. Il est donc probable que ces emprunts se sont entièrement substitués à l’émission des obligations prévues à l’article 13 de ses statuts. Faute de disposer des archives de la Société (peut-être perdues), on ne sait pas dire, par contre, comment la Société a trouvé la trésorerie nécessaire au paiement de ses fournisseurs avant mai 1878.
Même réduit, l’endettement de la Société reste toutefois considérable. Dans l’immédiat, il lui faut payer des intérêts annuels de 61 000 francs et il lui faudra, à chacune des échéances des années 1883, 1884 et 1885, rembourser 406 000 francs.
Au-delà du Traité : le projet de lotissement
En même temps qu’elle met en œuvre le Traité, la Société se préoccupe de la mise en valeur des 171 320 m² qui restent de la propriété apportée par Jacques Montéage après qu’on en a retiré l’emprise des voies, de la place et des marchés.
Un plan inséré dans le contrat d’ouverture de crédit du 18 octobre 1878 (reproduit ci-dessous) montre que la plus grande partie devait en être lotie.

Ce plan de lotissement a sans doute été établi très tôt : avant 1877, puisqu’il annonce une ouverture future des marchés pour cette année-là (ce sera en réalité en octobre 1878). Les acheteurs visés sont clairement identifiés : « Ces terrains, par leur situation, conviennent aux vétérinaires, loueurs de voitures, entrepreneurs de transports, voituriers, marchands de chevaux, de grains et fourrages ; pour l’établissement d’Ecuries et d’Entrepôts ; aux aubergistes, bourreliers, charrons, selliers, harnacheurs, maréchaux-ferrants, nourrisseurs, fabricants de voitures, etc., etc. » Même s’il ajoute que : « leur prix, relativement peu élevé, permet également d’y établir des usines, des constructions ouvrières, des habitations d’agrément », il est clair que le projet de la Société est alors de réunir, sur les anciennes Carrières d’Amérique, tous les métiers du cheval.

Au-delà du Traité, on devine donc un projet global, où l’on retrouve des idées qui sont alors dans l’air du temps. On lit ainsi, dans le rapport Chevalier de juillet 1873 – le premier qui ait eu à examiner des offres pour l’emplacement définitif du marché aux chevaux : « avant de passer à l’examen des divers projets soumis à la Commission, nous avons dû nous demander ce que devait être un marché aux chevaux à notre époque, pour répondre tout à la fois aux exigences d’une ville comme Paris, et aux besoins si nombreux que comporte l’industrie hippique. Nous croyons fermement que ce qui suffisait autrefois est devenu complètement insuffisant aujourd’hui ; qu’un marché ne doit pas être simplement une piste bordée de deux côtés de stalles, et où l’on fait trotter les chevaux pendant six heures de la semaine ; mais bien un établissement permanent, ouvert tous les jours au public, où il puisse venir à toute heure et en toute sécurité se pourvoir d’un cheval, d’un harnais et de voitures ; où les habitants de Paris et de la banlieue, ainsi que ceux des départements voisins, puissent aussi s’approvisionner ; où les éleveurs soient libres d’amener à époques fixes leurs produits pour les faire juger ; en un mot, un établissement modèle, un vaste Tattersall où tout ce qui se rattache au commerce du cheval doit trouver sa place. [19]»
« Un vaste Tattersall » : l’expression renvoie à l’établissement fondé le 10 janvier 1855, rue Beaujon, sur le modèle du Tattersall de Londres, créé au XVIIIe siècle par Richard Tattersal. La riche clientèle de l’ouest parisien venait y acheter des chevaux de selle ou d’attelage et des voitures, Dans ce commerce de luxe, les commissions étaient de 10 % sur le prix de vente [20].

Développer le marché aux chevaux pour répondre « aux besoins si nombreux que comporte l’industrie hippique » en incluant « tout ce qui rattache au commerce du cheval » et en visant comme clients potentiels non seulement ceux de Paris, mais aussi de la banlieue et des départements voisins, tel est sans doute le projet de la Société.
A la même époque, on recense au moins un autre projet comparable. Parmi les offres que le Conseil municipal écarte dans sa décision du 23 novembre 1874 figure la proposition d’installer le marché rue d’Alésia, que le rapport Bouvery commente ainsi : « L’établissement est conçu dans des proportions considérables. Les auteurs du projet évaluent les dépenses d’achat de terrain et de construction à plus de 4 millions. Selon eux le rendement annuel serait de 1 570 875 F, et les frais généraux à déduire de 450 700 F. Resterait un bénéfice de 1 120 175 F […]. Le service des perceptions municipales porte approximativement à 110 000 francs le produit brut annuel du marché aux chevaux. Comment lui ferait-on rendre un million de plus ? MM. Doury et Ziegler augmentent, il est vrai, les droits de perception d’une manière considérable. Ils voudraient prélever 2 % sur toutes les ventes. Serait-ce là un moyen d’attirer vendeurs et acheteurs ? Il est permis d’en douter. Ils comptent aussi sur : 1° Le séjour des chevaux dans les écuries ; 2° Et sur les locations pour les expositions de voitures, harnais, équipages de chasse, instruments aratoires, etc. [21]»
Tous ces projets visent les professionnels du cheval : une centaine de marchands et loueurs de chevaux, et 9 783 propriétaires – en particulier des petits commerçants et artisans qui utilisent des chevaux pour leurs livraisons – qui possèdent au total 78 908 chevaux, dont une bonne part dans les arrondissements périphériques : 6 475 chevaux dans le 18e arrondissement, 6 031 dans le 15e, 5 966 dans le 19e, 5 495 dans le 17e, 3 623 dans le 12e – on cite ici les chiffres de 1880 [22].

Les perspectives ouvertes par ces projets sont assez attractives pour que le cercle des actionnaires de la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris s’élargisse après sa constitution, comme on l’apprend, à la lecture d’une délibération de l’assemblée générale des actionnaires du 29 avril 1878 [23]. Ce jour-là, douze actionnaires sont présents ou représentés, qui détiennent 2 818 actions (sur 7 000). On est donc bien au-delà des sept actionnaires initiaux. Comme le capital n’a pas été augmenté, et comme les actions de Jacques Montéage sont comptées dans les 2 818 – lui-même figurant parmi les douze présents ou représentés – il faut en conclure qu’il a cédé, à cette date, une bonne partie des 6 500 actions qu’il détenait au départ, et qu’il a trouvé preneurs.
Rien ne se réalisera toutefois des espérances de la Société.
L’échec de la Société
Les marchés sont inaugurés le 2 octobre 1878.
Moins d’une année après, le 20 août 1879, la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris est mise en liquidation.
Au regard des calculs faits par les associés, on a peine à imaginer l’ampleur de l’échec : dès le départ, les halles du marché aux chevaux, les bâtiments du marché aux fourrages restent vides. Aucun client, ou presque, ne se présente. Il faut citer ici le rapport présenté par M. Mathé au Conseil municipal de Paris, au nom de la 7e commission, le 5 juillet 1881 : « si nous consultons le mémoire qui a été adressé à M. le Préfet de la Seine par M. Vidal, liquidateur de la Société, nous voyons : 1° Que, du 3 octobre 1878 au 1er janvier 1879, les recettes des deux marchés ont atteint la somme de 824 fr. ; que, si on déduit de ce chiffre ce qui est spécial à diverses fournitures, le produit réel n’a été que de 744 fr. 75 c. ; 2° que, du 1er janvier 1879 jusqu’au 25 août de la même année, les recettes totales pour droits d’entrée ont produit la somme de 100 fr. 50 c.. Depuis cette époque, ajoute l’honorable liquidateur, on ne reçoit plus rien. [24]»
Comment un échec de cette ampleur peut-il s’expliquer ?
Si on en croit le rapport Mathé, les choses étaient écrites d’avance : « Placé dans un endroit complètement désert, ayant à lutter contre la concurrence qui lui était faite par le marché similaire appartenant à la Ville, contre les habitudes du commerce qu’il est difficile de changer, cette opération ne pouvait aboutir qu’à un désastre. Enfin, il faut le constater, les fourrages ne se vendent plus dans Paris, mais bien dans les marchés situés aux alentours et la vente des chevaux tend à se concentrer dans les établissements particuliers. [25]»

Et il est certain que le marché aux chevaux, dans son fonctionnement traditionnel, ne pouvait dégager que de modestes bénéfices. Le marché de la Ville ne fonctionnait que deux jours par semaine, les mercredi et samedi, et seulement l’après-midi, depuis 13 heures en hiver (14 heures en été) jusqu’à 18 heures (19 heures en été). Une note du Service de perception municipale, citée dans le rapport Bouvery [26], calculait que, à raison de 1 050 chevaux à 1 franc par place de cheval, sur 104 jours dans l’année, la recette pouvait être estimée à 109 200 francs. S’y ajoutaient quelques recettes complémentaires pour les places occupées par les voitures à vendre, ou pour l’utilisation de la piste d’essai. Mais il fallait compter, pour un montant à peu près équivalent, 1/5e de produits à admettre en non-valeur. Il fallait en outre déduire les frais de fonctionnement : personnel (14 500 francs), impôts (1 000 francs), entretien (4 000 francs), eau (3 500 francs). Au final, on arrivait à une recette nette de quelque 88 000 francs, dont il restait encore à déduire les intérêts des emprunts. Rien qui soit à proportion des capitaux engagés.
Tout reposait donc sur l’idée que, autour du marché aux chevaux, pouvait se développer un espace plus vaste qui accueillerait tous les professionnels du cheval, et qui constituerait le pôle d’attraction de toutes leurs clientèles. La défection totale des professionnels ne laissait aucune chance à la Société d’éviter la faillite.
La résiliation du Traité
Quelle est la situation de la Société au moment de sa mise en liquidation, le 20 août 1879 ?
Les dépenses ont été considérables :
- Les associés ont cédé à la Ville de Paris 70 987 m² de terrains : 26 950 m² pour l’ouverture de quatre rues et d’une place [27] ; et 44 037 m² pour les deux marchés [28] ;
- Les travaux leur ont coûté 1 425 000 francs : 625 000 francs pour la viabilité [29] ; et 800 000 francs [30] pour la construction des marchés, dont ils ont abandonné la propriété à la Ville de Paris.
Leur seule contrepartie a été la concession de l’exploitation des marchés, étant mis à part l’arrangement particulier relatif à la « cinquième voie », dont on peut penser qu’il était équilibré : si la Société a cédé à la Ville un terrain de 8 400 m², et engagé 350 000 francs pour la viabilité, elle a reçu en contrepartie onze terrains pour une superficie de 7 000 m², sans avoir à rembourser à la Ville les frais de viabilité déjà fait au droit de ces terrains [31].
Ces dépenses considérables ont été financées par des emprunts, qu’il faut maintenant rembourser.
Et, nonobstant l’interruption de toute activité, la Société reste à devoir à la Ville de Paris une redevance annuelle durant toute la durée de la concession.
Privée de toute recette, la Société ne peut bien sûr pas s’acquitter de cette redevance. La résolution de la concession qui s’ensuit a des conséquences qu’analyse le rapport Mathé : « Deux solutions se trouvaient en présence : fallait-il s’en tenir aux termes de l’art. 3 du traité, qui stipule que, dans le cas d’inexécution des clauses, la Ville a le droit de prendre immédiatement possession des marchés ? fallait-il, au contraire, au moyen d’une transaction, essayer de sauvegarder tout à la fois les intérêts de la Ville et de la Société ? c’est cette dernière solution que votre 7e Commission a adoptée. Il lui a paru, en effet, bien rigoureux, en raison des avantages que la Ville a retirés des travaux de viabilité entrepris et payés par la Société et qui sont aujourd’hui sa propriété incontestable, d’appliquer dans son entier l’art. 3 précité. [32]»
Une rude négociation s’engagera donc entre la Ville de Paris et M. Vidal, liquidateur de la Société, qui aboutira à une transaction dont les termes seront traduits dans l’arrêté du Préfet de la Seine du 20 mai 1882 [33]. Cet arrêté dispose que :
- les quatre rues et place resteront la propriété de la Ville, sans aucune indemnité pour les frais de viabilité engagés par la Société ;
- les marchés et leurs terrains seront restitués à la Société ;
- le Traité sera résilié, faisant disparaître l’obligation de payer la redevance, en contrepartie du paiement immédiat d’une somme de 250 000 francs ;
- l’échange relatif à « cinquième voie » restant par ailleurs acquis.

Comment peut-on analyser cette transaction du point de vue de la Société ?
Elle abandonne définitivement à la Ville les 26 950 m² des quatre rues et de la place ; mais elle récupère les 44 307 m² des deux marchés.
Elle ne récupère rien des 1 425 000 francs des travaux de viabilité et de construction des marchés ; mais elle retrouve la propriété de ces constructions, ce qui devrait lui permettre de récupérer 115 000 francs [34] de la revente des matériaux après destruction.
Elle doit verser 250 000 francs d’indemnité, mais elle est libérée de l’obligation de payer la redevance.
Elle avait donc tout intérêt à conclure. D’autant que l’ouverture des cinq rues et de la place valorise les terrains qui restent sa propriété. D’une certaine manière, on revient à un schéma classique, dans lequel les dépenses engagées pour percer et viabiliser les voies d’un lotissement sont prises en charge par le lotisseur, qui en fait ensuite cession gratuite à la Ville pour obtenir leur classement comme voies publiques. La perte de la Société est donc, sur ce point, plus mesurée qu’il n’y paraît.
Quant à la Ville de Paris, la transaction ne lui fait perdre que des espérances de gains. Elle abandonne les terrains des marchés et les constructions… qui ne lui ont rien coûté. Et elle renonce à 470 000 francs de redevance [35]… pour un second marché aux chevaux et un marché aux fourrages qui n’étaient pas dans ses plans.
Si cette transaction limite les pertes de la Société, elle ne règle en rien la question des dettes qu’elle a contractées. Elle ne peut plus compter sur les recettes de son activité pour les rembourser. Elle n’a dès lors aucune autre solution que de revendre les terrains.
Le 3 mars 1887, en l’audience des criées du tribunal civil de première instance de la Seine, la quasi-totalité des terrains est adjugée à la famille Crabbe (pour 70 506 m²) et à la Banque d’escompte. Ces ventes ouvriront une seconde phase de l’urbanisation des Carrières d’Amérique, dont la réalisation la plus marquante sera le quartier des villas de la Mouzaïa. Un nouvel article doit lui être consacré (voir La Mouzaïa).
LIENS
Charles Marville (1813-1879) a réalisé plusieurs photos des Carrières d’Amérique. Comme ces photos ne sont pas libres de droits, sont ici donnés les liens permettant d’y accéder sur le site des Musées de la Ville de Paris (le zoom permet de voir la photo en pleine page) :
2) Carrières d’Amérique : vue prise depuis les fortifications vers les Buttes Chaumont.
3) Carrières d’Amérique : vue du marché aux chevaux.
CARTES
Michel Huard, Atlas Historique de Paris, Paris en 1900
BIBLIOGRAPHIE
BOUCHET Ghislaine, Le cheval à Paris de 1850 à 1914, Genève, Droz, Collection Mémoires et documents de l’Ecole des chartes, 1993, 410 p.
CLEMENT Alain, THOMAS Gilles (sous la direction de), Atlas du Paris souterrain. La doublure sombre de la Ville lumière, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 2001, 193 p.
JACOMIN Emmanuel, « Histoire de Belleville » in Belleville, Paris, Henri Veyrier, 1988, p. 86-350
JOANNE Adolphe, Les environs de Paris illustrés : itinéraire descriptif et historique, Paris, Hachette, 1856, 847 p.
SOURCES D’ARCHIVES
Archives Nationales
MC/ET/LXXX/436 : Acte relatif aux hypothèques consenties par Jacques Montéage sur ses terrains des Carrières d’Amérique, chez Me Ragot Lucien-Isidore, notaire à Paris, du 30 décembre 1868
MC/ET/LXXX/509 : Statuts de la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, chez Me Hocquet Constant, notaire à Paris, du 10 mars 1875 ; Procès-verbaux des deux assemblées générales constitutives, du 10 mars 1875 ; Pièces relatives aux formalités de constitution, du 15 mai 1875.
MC/ET/XCIII/766 : Traité entre la Ville de Paris et la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, chez Me Delapalme Jules-Emile, notaire à Paris, du 20 mai 1875
MC/ET/LXXX/528 : Acte relatif à l’origine de propriété des terrains apportés par Jacques Montéage à la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, chez Me Hocquet Constant, notaire à Paris, du 26 octobre 1876
MC/ET/CXVI/962 : Prêt de 620 000 F, consenti par Mme Crabbe à la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, chez Me Pérard Gustave et Hocquet, notaires à Paris, du 2 mai 1878
MC/ET/CXVI/965 : Ouverture de crédit de 400 000 F, consentie par la Banque Française et Italienne à la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, chez Me Pérard Gustave et Hocquet, notaires à Paris, du 11 octobre 1878
MC/ET/CXVI/965 : Ouverture de crédit de 200 000 F, consentie par M. Crabbe à la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, chez Me Pérard Gustave et Hocquet, notaires à Paris, du 18 octobre 1878
MC/ET/CIII/1798 : Acte établissant la propriété des terrains des époux Crabbe, chez Me Latapie de Gerval, notaire à Paris, du 14 janvier 1889
Archives de Paris
D9K3 4 : Conseil municipal de Paris, Rapport n° 15 présenté par M. Chevalier au nom de la 7e commission sur les diverses propositions concernant le marché aux chevaux, le 24 juillet 1873
44Db 13 : Mémoire du préfet au conseil municipal, relatif à l’installation définitive du marché aux chevaux, du 28 juillet 1874
D9K3 5 : Conseil municipal de Paris, Rapport présenté par M. Bouvery au nom de la 7e commission sur l’installation définitive du Marché aux Chevaux, le 24 octobre 1874
D5K3 13 : Conseil municipal de Paris, Rapport n° 57 présenté par M. Mathé au nom de la 7e commission sur le projet de réalisation du traité relatif au Marché aux Bestiaux et aux Fourrages du XIXe arrondissement, le 5 juillet 1881
NOTES
[1] CLEMENT 2001, p. 16
[2] JOANNE 1856, p. 92
[3] Archives Nationales, MC/ET/LXXX/528, du 26 octobre 1876
[4] Archives Nationales, MC/ET/LXXX/436, du 30 décembre 1868
[5] Archives Nationales, MC/ET/XCIII/766, du 20 mai 1875
[6] Archives de Paris, D9K3 4, du 24 juillet 1873
[7] Archives de Paris, 44Db 13, du 28 juillet 1874
[8] Archives de Paris, D9K3 5, du 24 octobre 1874
[9] BOUCHET 1993, p. 67
[10] Rapport Bouvery, p. 13-14
[11] Mémoire du préfet du 28 juillet 1874, p. 12
[12] Rapport Bouvery, p. 28
[13] Archives Nationales, MC/ET/LXXX/509, du 10 mars 1875
[14] JACOMIN 1988, p. 284
[15] JACOMIN 1988, p. 286
[16] Archives Nationales, MC/ET/CXVI/962, du 2 mai 1878
[17] Archives Nationales, MC/ET/CXVI/965, du 18 octobre 1878
[18] Archives Nationales, MC/ET/CXVI/965, du 11 octobre 1878
[19] Rapport Chevalier, p. 10
[20] BOUCHET 1993, p. 65
[21] Rapport Bouvery, p. 5-6
[22] BOUCHET 1993, p. 45. On peut dénombrer avec précision la population chevaline à partir de 1877, date à laquelle son recensement devient obligatoire en application de la loi du 3 juillet 1877, titre VIII, sur les réquisitions militaires. On recensait en fait les équidés. Les nombres incluent donc aussi à la marge des ânes et mulets.
[23] Archives Nationales, MC/ET/CXVI/962, du 2 mai 1878
[24] Rapport Mathé, p. 3
[25] Rapport Mathé, p. 3
[26] Rapport Bouvery, p. 12-13
[27] Traité du 20 mai 1875, art. 1er
[28] Rapport Mathé, p. 6
[29] Rapport Mathé, p. 5
[30] Rapport Mathé, p. 3. On notera que le rapport s’en tient à une évaluation sommaire : « […] ce marché qui, dit-on, avait coûté près de 800 000 fr. d’installation […] ».
[31] Mémoire du préfet du 28 juillet 1874, p. 11
[32] Rapport Mathé, p. 3
[33] Arrêté reproduit dans MC/ET/CIII/1798, du 14 janvier 1889
[34] Rapport Mathé, p. 6
[35] Selon les calculs du rapport Mathé, p. 7 : 26 annuités à 15 000 francs et 2 annuités à 40 000 francs.
ILLUSTRATIONS
(1) Plan des carrières, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris
(2) Vue Google maps.
(3) Traité entre la Ville de Paris et la Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris, chez Me Delapalme Jules-Emile, notaire à Paris, du 20 mai 1875 – Archives Nationales, MC/ET/XCIII/766
(4) Théodore Géricault – New York, Metropolitan Museum of Art
(5) et (8) Propriété de Jacques Montéage, carte annexée à l’acte établissant la propriété des terrains des époux Crabbe, chez Me Latapie de Gerval, notaire à Paris, du 14 janvier 1889 – Archives Nationales, MC/ET/CIII/1798
(6) Rosa Bonheur – New York, Metropolitan Museum of Art
(7) Action de 500 F – Photo Numistoria
(9) et (10) Société des marchés aux chevaux, plan de lotissement inséré dans le contrat d’ouverture de crédit du 18 octobre 1878, chez Me Pérard Gustave et Hocquet – Archives Nationales, MC/ET/CXVI/965
(11) Thomas Rowlandson – New York, Metropolitan Museum of Art.
(12) Camille Pissarro – New York, Metropolitan Museum of Art.
(13) Marché aux chevaux en 1853 – Brown University Library via Wikimedia Commons
(14) Place Rhin-et-Danube – PI (novembre 2019)
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Une réflexion sur “La première urbanisation des Carrières d’Amérique”
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