Au pied de la Montagne Sainte-Geneviève, le territoire de l’ancienne Lutèce est redevenu, vers l’an mille, un territoire rural. Y dominent des enclos de cultures, faiblement peuplés de vignerons ou de laboureurs [1]. Ils entourent une zone faiblement bâtie, de part et d’autre de la grand-rue du Petit-Pont [rue Saint-Jacques], entre la rue de la Harpe [boulevard Saint-Michel] à l’ouest et la rue Sainte-Geneviève [rue de la Montagne-Sainte-Geneviève] à l’est.
Les Clos
Aux XIIe et XIIIe siècles, les terrains des clos vont être progressivement urbanisés [2]. C’est surtout « à partir de l’érection de l’enceinte de Philippe-Auguste [commencée en 1200 sur la rive gauche] que les rues neuves se multiplièrent, une quantité de terrains de culture se trouvaient désormais dans des conditions de sécurité qui les firent bailler à bâtir. [3] »

Ces rues neuves sont souvent d’anciens chemins ruraux qui bordaient ou traversaient les clos. Il en est ainsi, à l’est, de la rue de la Bûcherie qui reliait la rue de Laas [rue de la Huchette] à la place Maubert et formait la principale voie du Clos Mauvoisin ; ou de la rue Galande qui, sur le trajet de la route de Sens, formait la limite entre ce clos et le Clos de Garlande ; ou encore des rues des Carmes et de Lanneau, anciennes limites du Clos Bruneau ; ou enfin de la rue des Boulangers, limite méridionale du Clos Tiron. D’autres rues neuves sont nées des lotissements. « C’est ainsi que sur le clos Mauvoisin, accensé en 1202… on traça les rues de Fouyarre [rue du Fouarre], des Rats [rue de l’Hôtel-Colbert] et des Deux Portes [rue des Trois Portes]… [4]» ; ou sur le clos de Garlande, les rues Domat et des Anglais. [5]
A l’ouest, la rue Saint-André-des-Arts était la voie directe reliant l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés au Petit-Pont. Elle commence à s’urbaniser en 1179, quand le Clos de Laas est loti, en même temps que la rue Hautefeuille, second chemin traversant ce clos. « Cette date est très importante. Les deux chemins vont se bâtir, par conséquent se fixer, et c’est à leur intersection que sera construite l’église Saint-André-des-Arts. Puis vont être tracées les ruelles adjacentes dont il nous reste les rues Suger, de l’Eperon, Serpente, Mignon et des Poitevins, de l’Hirondelle, Gît-le-Cœur et Séguier. [6] »
L’Université
L’Université va jouer un rôle important dans la croissance de la rive gauche. Si elle trouve son origine dans l’école du chapitre de Notre-Dame, dont le chancelier pouvait seul délivrer la licentia docendi – le doit d’enseigner – ce sont les écoles de l’abbaye de Saint-Victor et de Sainte-Geneviève qui vont asseoir la renommée de Paris dans l’Europe entière et rendre possible la création de l’Université au début du XIIIe siècle.
L’abbaye de Saint-Victor [7] naît de la décision que prend Guillaume de Champeaux, un des maîtres de l’école du chapitre de Notre-Dame, de se retirer en 1108 dans un oratoire situé sur la Terre d’Aletz, en un lieu situé entre la Bièvre et la route de Sens [à peu près au niveau de la place Jussieu] [8]. Après que plusieurs de ses disciples sont venus l’y rejoindre, il accepte d’y reprendre son enseignement et y fonde une communauté qui se transforme en abbaye en 1113, grâce à une dotation de Louis VI le Gros (1108-1137). Cette communauté, qui s’inscrit dans le grand mouvement de rénovation de la vie canoniale engagée au XIIe siècle, applique la règle austère des chanoines réguliers de Saint-Augustin. L’abbaye est riche des dotations qu’elle reçoit, de sa bibliothèque, mais surtout de son école qui s’affirme dès l’origine comme un des hauts lieux intellectuels de l’Europe médiévale. De grands maîtres y enseignent, en premier lieu Hugues de Saint-Victor, le véritable fondateur de l’école. « Son enseignement embrassait la totalité des sciences ; sans confondre la philosophie et la théologie, il avait de la première et des arts libéraux une idée très élevée, considérant les arts libéraux comme un acheminement vers la philosophie qui, elle, menait à la théologie, conception qui devait triompher au XIIIe siècle. [9] »

Miniature anglaise, XIIIe siècle.
Le mouvement de réforme porté par l’abbaye de Saint-Victor s’étend à l’abbaye de Sainte-Geneviève au milieu du XIIe siècle. Son école va prendre la relève de Saint-Victor, sous l’influence d’un des hommes les plus savants et les plus lettrés de son temps, Etienne de Tournai, qui devient abbé en 1176. La création de l’Université, communauté de métier des enseignants et des étudiants, au début du XIIIe siècle, renforce son importance : en 1222, le pape Honorius III, arbitrant contre le chancelier de Notre-Dame, confirme le droit de l’abbé de Sainte-Geneviève d’accorder la licence pour toutes les disciplines enseignées dans sa juridiction [10].
« Il est incontestable qu’au point de vue du développement urbain, l’enseignement sur la Montagne Sainte-Geneviève et à Saint-Victor valut à la ville un début d’expansion vers les quartiers de la rive gauche. Les écoles de la cathédrale y essaimèrent. [11] »
De ce fait, le nombre des étudiants ne cesse de croître pour atteindre finalement – selon une fourchette assez large – entre 4 000 et 10 000. On enseignait au début non seulement dans le cloître des abbayes, mais aussi dans des maisons particulières ou même dans la rue. Puis les collèges – initialement fondés pour loger les étudiants les plus pauvres – deviendront les lieux principaux de l’Université [12]. La fondation la plus illustre sera, en 1254, le collège de Robert de Sorbon, chapelain de Saint Louis et chanoine de Cambrai, installé rue du Palais-des-Thermes [rue Du Sommerard], puis s’étendant entre la rue des Maçons [rue Champollion] et la rue Saint-Jacques [13]. On peut citer aussi le collège des Prémontrés ouvert en 1252, à l’angle de la rue de Hautefeuille et de la rue des Cordeliers [rue de l’Ecole-de-Médecine] ; celui des Clunisiens, fondé en 1261, rue des Porées [place de la Sorbonne] ; celui des Cisterciens ou Bernardins, fondé dès 1248 dans le Clos du Chardonnet. Ces fondations de collèges se multiplieront au XIVe siècle.
Les ordres mendiants
L’installation à Paris des ordres mendiants élargit encore le cercle des écoles. Franciscains et Dominicains « entendent développer une pastorale active fondée sur la prédication et la pratique de la confession, mais aussi sur l’enseignement, en tissant des liens étroits avec le monde universitaire. [14] » Installés à Paris dès les années 1210, ils seront bientôt rejoints par les Carmes et les Augustins.
Ces quatre ordres vont tous s’établir sur la rive gauche [15].
En 1218, sept dominicains s’établissent dans un hospice fondé quelques années plutôt sous l’invocation de Saint-Jacques pour fonder un couvent qui sera connu sous le nom des Jacobins. Le couvent est accoté au rempart, intra-muros [à la hauteur de la rue Soufflot], entre la rue de la Harpe [boulevard Saint-Michel] et la rue Saint-Jacques, le quadrilatère se refermant sur le tracé de l’actuelle rue Cujas [16]. Centre d’études important, ce sera l’un des principaux établissements de l’ordre.

rue de l’Ecole-de-Médecine. fin du XVe siècle.
En 1230, l’abbé de Saint-Germain, répondant au vœu de Saint Louis, donne aux franciscains un « grand logis » [17] qui, du fait de l’adjonction de différentes parcelles, viendra s’inscrire à l’intérieur d’un périmètre à peu près défini aujourd’hui par les rues Monsieur-le-Prince – le couvent est ici accotée aux remparts intra-muros – Antoine-Dubois, de l’Ecole-de-Médecine, et Racine [18]. En 1231, le couvent, qui sera désigné sous le nom des Cordeliers, reçoit la mission de former tous les théologiens de l’ordre.
A la fin du XIIIe siècle, les Augustins, arrivés à Paris en 1259, s’installent face à la pointe aval de l’île de la Cité, sur un terrain qui serait défini aujourd’hui par la rue Dauphine, le quai des Grands-Augustins, la rue des Grands-Augustins et une ligne tracée au peu au-delà de la rue du Pont-de-Lodi [19]. Ce couvent est, là encore, le principal centre d’études théologique de l’ordre.
Enfin, un peu au-delà de 1300, ce seront les Carmes, arrivés en Paris en 1259, qui viendront à leur tour s’établir rive gauche, sur un terrain qui serait défini aujourd’hui par la rue des Carmes, la place Maubert, la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève et une ligne tracée un peu au-delà de la rue Basse-des-Carmes [20].
CARTES
Michel Huard, Atlas historique de Paris :
BIBLIOGRAPHIE
BERTY Adolphe, TISSERAND Lazare-Maurice, Topographie historique du vieux Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1866-1897, vol. V « Région occidentale de l’Université », 659 p., vol. VI « Région centrale de l’Université », 590 p.
BOUSSARD Jacques, Nouvelle histoire de Paris : De la fin du siège de 885-886 à la mort de Philippe Auguste, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 2e éd. 1996, 457 p.
CAZELLES Raymond, Nouvelle Histoire de Paris : Paris de Philippe Auguste à Charles V, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 1994, 478 p.
LAVEDAN Pierre, Nouvelle Histoire de Paris : Histoire de l’urbanisme à Paris, Paris, Association pour la publication d’une Histoire de Paris, 1993, 732 p. (avec un supplément de Jean Bastié) – 1e éd.1975
LORENTZ Philippe, SANDRON Dany, Atlas de Paris au Moyen Age. Espace urbain, habitat, société, religion, lieux de pouvoir, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 2006, 237 p.
ROULEAU Bernard, Le tracé des rues de Paris, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1975, 129 p . – 1e éd. 1967
NOTES
[1] Pour toute cette partie, la source principale est ROULEAU 1975, pp. 44-46
[2] LORENTZ 2006, pp. 34 et 36 (cartes)
[3] ROULEAU 1975, p. 45 citant BERTY 1866-1897
[4] ROULEAU 1975, p. 45 citant BERTY 1866-1897
[5] ROULEAU 1975, p. 53
[6] ROULEAU 1975, p. 45
[7] Pour toute cette partie, la source principale est BOUSSARD 1996, pp. 209-221
[8] LORENTZ 2006, p. 142 (carte)
[9] BOUSSARD 1996, p. 216
[10] BOUSSARD 1996, p. 356
[11] BOUSSARD 1996, p. 224
[12] LAVEDAN 1993, p. 100
[13] CAZELLES 1994, p. 68
[14] LORENTZ 2006, p. 144
[15] Pour toute cette partie, la source principale est LORENTZ 2006, pp. 144-153
[16] LORENTZ 2006, p. 147 (carte)
[17] CAZELLES 1994, p. 51
[18] LORENTZ 2006, p. 145 (carte)
[19] LORENTZ 2006, p. 149 (carte)
[20] LORENTZ 2006, p. 151 (carte)
ILLUSTRATIONS
(1) Rue Clovis – Mbzt [CC BY-SA 3.0] via Wikimedia Commons
(2) Miniature anglaise – Bodlein Library Oxford via Wikimedia Commons
(3) Réfectoire des Cordeliers – Harmonia Amanda [CC BY-SA 3.0] via Wikimedia Commons
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