L’île de la Cité est le cœur de la ville depuis la fin de la paix romaine. Protégée par le fleuve et sans doute au début du IVe siècle par un mur fortifié, elle a permis – au travers des pires périodes de troubles – la continuité de la ville. De ce fait, elle a concentré les lieux de pouvoir.
Le pouvoir du roi, d’abord. La résistance qu’il a organisée dans l’île contre les Normands a donné à Eudes, comte de Paris, une influence qui conduira les Grands Vassaux à le désigner comme roi en 888 après la déposition de Charles le Gros. Un siècle plus tard, mettant un terme à la rivalité avec les Carolingiens, c’est un de ses descendants, Hugues Capet, qui fondera la dynastie capétienne.
Le pouvoir de l’Église, ensuite, qui n’a cessé d’élargir son influence depuis Clovis et Sainte Geneviève. « Au premier rang des détenteurs de terres, le clergé cathédral, évêque et chapitre de Notre-Dame, dispose de ressources considérables à Paris même, dont l’évêque est longtemps, avec le roi, le principal seigneur. Il en va de même aux alentours, sur les terres fertiles des environs de la ville. [1] »
Deux ensembles manifestent ces pouvoirs dans l’île.
Le Palais de la Cité
Le palais occupe un site où séjournèrent les gouverneurs romains et l’empereur Julien au IVe siècle (voir Paris, du Ve au Xe siècle). Vers l’an 1000, on ne sait pas dire précisément à quoi il ressemblait, peut-être une citadelle [2]. En 1300, elle s’est transformée en un complexe palatial.

Le Palais de la Cité, à la pointe occidentale de l’île, est vu depuis la rive gauche, au niveau de l’hôtel de Nesle, aujourd’hui quai de Conti.
©Photo. R.M.N. / R.-G. Ojda
Entre temps, Paris est devenue la ville de résidence des rois capétiens. Mais les rois n’y demeurent pas en permanence. Hugues Capet (987-996), semble avoir passé peu de temps à Paris. C’est à Senlis qu’il est élu roi par l’assemblée des grands, à Noyon qu’il est couronné, à Orléans qu’il fait couronner son fils Robert, à Melun qu’il meurt [3]. On doit à Robert le Pieux (996-1031) la restauration du palais mais il semble ne pas y avoir demeuré davantage [4]. Henri Ier (1031-1060), Philippe Ier (1060-1108) sont rarement dans leur capitale. Cependant Louis VI le Gros (1108-1137) y réside déjà plus souvent qu’à Orléans – l’autre point fort du domaine des premiers Capétiens – tout comme Louis VII le Jeune (1137-1180) [5].
Quand le roi n’est pas à Paris, l’administration royale n’y est pas non plus. Le roi rend la justice, reçoit les comptes, traite les affaires là où il réside. La Chancellerie le suit de château en château. Tout change avec Philippe II Auguste (1180-1223). L’ordonnance qu’il prend en 1190 dispose, en matière financière, que les versements dus par les prévôts et baillis se feront au Temple de Paris – où le Trésor a été transféré sous Louis VII en 1146 – que le roi soit là ou non [6]. C’est au Palais que seront conservées les archives royales – elles accompagnaient le roi jusqu’à ce qu’elles soient perdues dans la débandade de Fréteval en 1194. Et c’est au Palais que se sédentarisent – entre 1200 et 1300 – les juges du roi d’abord, les comptables du roi ensuite, les membres du Conseil enfin, « afin de faciliter la bonne fin des procès, l’apurement et le contrôle de la comptabilité, l’expédition des affaires politiques, même en l’absence du Roi » [7]. Cette sédentarisation explique l’extension du Palais – en particulier sous les règnes de Saint Louis (1226-1270) et de Philippe IV le Bel (1285-1314). Elle explique aussi l’installation permanente à Paris – et la demande subséquente en maisons, en logements, en chambres de ville – des officiers de la maison du roi – peut-être cinq cents personnes vers 1300 (mais il faudrait aussi compter le personnel de la maison de la reine et des enfants de France) – de leur famille et de leurs serviteurs [8]. Elle explique enfin l’attraction que la ville exerce sur toutes les personnes qui sont dans la nécessité de traiter avec l’administration royale, ou ont le projet de faire des affaires avec la Cour.
L’ensemble cathédral
A l’autre extrémité de l’île, se substituant à la cathédrale Saint-Etienne du VIe siècle, et à une première église Notre-Dame attestée au IXe siècle [9], l’actuelle cathédrale est mise en chantier vers 1160, à l’initiative de l’évêque Maurice de Sully (1160-1196). La construction commence par le chœur et s’achève, vers 1220, par la façade ouest [10].

XVe siècle. Les apôtres sont placés au niveau de l’hôtel de Nesle, depuis un point de vue qui laisse découvrir Notre-Dame et la partie sud de la Cité.
Au sud, le palais épiscopal, entièrement reconstruit par Maurice de Sully au XIIe siècle, comprend une grande salle qui sert de cadre aux grandes assemblées ecclésiastiques, une chapelle et une tour, signe du pouvoir judiciaire de l’évêque. A la fin du XIIIe siècle, ce palais est agrandi par l’évêque Simon de Bucy [11].
A l’ouest du palais épiscopal, le XIIe siècle voit aussi se construire un nouvel hôpital des pauvres, qui prend le nom d’Hôtel-Dieu sous Saint Louis. Le bâtiment contient cinq salles pour les malades ainsi que le logement des religieux et religieuses et différents services – cuisine, paneterie, lavanderie… [12]
L’hôtel-Dieu est sous la tutelle du chapitre de Notre-Dame, dont le cloître s’étend au nord de la cathédrale. Les chanoines – un collège d’une cinquantaine de membres – ont abandonné la vie commune, avec dortoir et réfectoire, dès avant le XIIe siècle. Ils résident dans des maisons particulières, dans un quartier clos de murs [13].
Entre le domaine de l’évêque et celui du roi
Entre les deux lieux de pouvoir, l’île se présente comme un dédale de rues où s’enchevêtrent habitations et activités marchandes de part et d’autre de l’axe majeur qui relie la Cité aux deux rives [14]. Depuis l’époque romaine – et sans doute dès avant – cet axe traversait l’île en ligne droite sur le tracé actuel de la rue de la Cité, reliée par deux ponts à la rue Saint-Jacques au sud et à la rue Saint-Martin au nord [à l’emplacement actuel du Petit-Pont et du Pont Notre-Dame]. Cet itinéraire se modifie à partir du IXe siècle, du fait de la construction d’un nouveau pont dans l’axe de la rue Saint-Denis [à l’emplacement actuel du Pont au Change]. Voulu par Charles le Chauve (840-877) comme un ouvrage défensif contre les incursions des Normands, ce pont va peu à peu devenir le lieu privilégié de passage vers la rive droite [15]. Ce déport vers l’aval dessine un nouvel itinéraire sur l’île : la voie provenant de la rue Saint-Jacques va se raccorder au pont conduisant à la rue Saint-Denis tout d’abord par un chemin sur berge [à hauteur du quai de l’Horloge], qui deviendra la rue de la Pelleterie [disparue en 1860], puis à partir du milieu du XIIe siècle, par la rue de la Vieille-Draperie [rue de Lutèce] qui joint la rue de la Juiverie [rue de la Cité] à la rue de la Barillerie [boulevard du Palais] [16]. Raccordée à la rue Saint-Martin, subsiste la passerelle des Planches de Mibray [17] [à l’emplacement actuel du Pont Notre-Dame].
A cet axe se rattache tout un réseau de voies étroites et tortueuses, irriguant un tissu urbain de plus en plus dense comme en atteste la multiplication des églises paroissiales [18].
CARTES
Michel Huard, Atlas historique de Paris :
BIBLIOGRAPHIE
BOUSSARD Jacques, Nouvelle histoire de Paris : De la fin du siège de 885-886 à la mort de Philippe Auguste, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 2e éd. 1996, 457 p.
BUSSON Didier, Carte archéologique de la Gaule : Paris, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1998, 607 p.
CAZELLES Raymond, Nouvelle Histoire de Paris : Paris de Philippe Auguste à Charles V, Paris, Association pour une histoire de la ville de Paris, Hachette, 1994, 478 p.
FAVIER Jean, Paris, deux mille ans d’histoire, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1997, 1007 p.
LORENTZ Philippe, SANDRON Dany, Atlas de Paris au Moyen Age. Espace urbain, habitat, société, religion, lieux de pouvoir, Paris, Editions Parigramme / Compagnie parisienne du livre, 2006, 237 p.
ROULEAU Bernard, Paris. Histoire d’un espace, Paris, Editions du Seuil, 1997, 492 p.
NOTES
[1] LORENTZ 2006, p. 113
[2] BOUSSARD 1997, p. 22
[3] BOUSSARD 1997, p. 73
[4] BOUSSARD 1997, p. 83
[5] FAVIER 1997, p. 265-267
[6] FAVIER 1997, p. 269
[7] CAZELLES 1994, p. 34
[8] CAZELLES 1994, p. 37
[9] LORENTZ 2006, p. 116
[10] LORENTZ 2006, p. 119
[11] LORENTZ 2006, p. 123
[12] LORENTZ 2006, p. 180
[13] LORENTZ 2006, p. 124
[14] BOUSSARD 1997, p. 149
[15] ROULEAU 1997, p. 46
[16] ROULEAU 1997, p. 52
[17] LORENTZ 2006, p. 21-26
[18] ROULEAU 1997, p. 60
ILLUSTRATIONS
(1) Très Riches Heures du Duc de Berry – Musée Condé via Wikimedia Commons
(2) Heures d’Etienne Chevalier – New York, Metropolitan Museum of Art, via Wikimedia Commons
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